Mourir derrière les barreaux
Un détenu qui est en train de mourir doit-il continuer à payer sa dette ? Une question éthique à laquelle une socio-anthropologue et une socio-démographe ont cherché à répondre en réalisant une enquête nationale sur la fin de vie en prison1.
La prison n’est pas un endroit pour mourir. Un avis partagé par les acteurs concernés, médecins, soignants, surveillants, conseillers pénitenciaires d’insertion et de probation (CPIP), pour qui cette situation s’apparente à une double peine. Quelqu’un qui est en train de mourir doit-il continuer à payer sa dette ? Jusqu’où va-t-on dans le châtiment ? sont les questions qui taraudent les esprits. En France, une loi votée en 1994 prévoit des moyens pour que l’enfermement ne soit plus synonyme de discrimination, et fait du soin en prison une composante des missions de l’hôpital. La loi Kouchner de 2002 va plus loin en stipulant les conditions de suspension de peine pour raisons médicales, notamment lorsque les personnes sont en fin de vie. Le recours à cette loi reste cependant limité ; elle a, depuis sa mise en vigueur, motivé 985 demandes, dont 650 ont été acceptées (chiffres 2011).
Aline Chassagne et Aurélie Godard, respectivement socio-anthropologue et sociodémographe dans l’équipe de recherche Éthique et progrès médical du professeur Régis Aubry au CHRU de Besançon, ont dressé un état des lieux de la fin de vie en prison sur l’ensemble du territoire national dans une étude de grande envergure inédite en France1. Une approche qualitative a permis de réaliser des entretiens auprès de quatorze patients-détenus et des professionnels intervenant dans leur parcours, donnant ainsi l’opportunité de saisir la complexité et la singularité des situations de fin de vie en prison. « Les aménagements dans la prise en charge sont indéniables, notamment dans les UHSI (Unité hospitalière sécurisée interrégionale) créées au début des années 2000, explique Aline Chassagne. Cependant, ces mesures restent dédiées à des soins techniques, et la démarche palliative reste bien souvent inaccessible dans un environnement qui demeure carcéral, avec des soignants peu formés aux questions de fin de vie. »
Patients-détenus, détenus-malades, quel statut accorder à ces personnes que le monde médical et le monde judiciaire sont incapables de considérer du même regard ? Un choc de cultures que la loi de 2002, qui implique l’avis des deux, met bien en scène. D’un côté le médecin qui, arrivé au bout des possibilités que lui offre la science, souhaite poursuivre sa mission auprès de son patient en lui assurant une fin de vie qu’il considère plus digne hors de l’univers carcéral ; d’un autre le juge, dont la responsabilité envers la société oblige à considérer des critères comme le type de crime ou le temps de peine déjà effectué dans la prise de décision. « Le dialogue est nécessaire entre tous les acteurs afin de pouvoir dégager la solution la plus juste », estime Aline Chassagne.
Car les situations sont toutes particulières et relèvent du cas par cas. Aucune solution satisfaisante ne saurait être proposée par la loi seule, même munie des meilleures intentions.
1 L’étude PARME a été mise en œuvre par l’équipe de recherche Éthique et progrès médical rattachée au Centre d’investigation clinique en innovation technologique de Besançon (CIC-IT), le laboratoire de sociologie et d’anthropologie (LASA) et le laboratoire de philosophie Logiques de l’agir de l’université de Franche-Comté, et l’Espace de réflexion éthique Bourgogne - Franche-Comté.
Article paru dans le numéro 256 du journal en direct de janvier-février 2015, dans le dossier intitulé « Sur les chemins de l'éthique ».
À écouter : émission de Radio Campus avec Aline Chassagne et Aurélie Godard
Contact
Régis Aubry
regis.aubry@univ-fcomte.fr
Centre d'inverstigation clinique en innovation technologique de Besançon (CIC-IT)
www.cic-it.fr/cic-it-besancon.php