Habiter la Terre
Corine Pelluchon, philosophe, vient de publier un ouvrage intitulé Les Nourritures où elle propose « d’articuler l’écologie à la condition humaine ».
Enseignante-chercheuse en philosophie à l’université de Franche-Comté, Corine Pelluchon est spécialiste en éthique appliquée. À l’écart des chemins déjà explorés, elle veut tracer une troisième voie, fonder une philosophie politique sur de nouvelles bases qui dépasseraient le sacro-saint clivage nature-culture, et inscrirait l’écologie en son cœur.
Au-delà de l’éthique environnementale, « plus critique que constructive », qui veut gérer les ressources dans une préoccupation de développement durable, Corine Pelluchon propose « d’articuler l’écologie à la condition humaine ». « Ne pas réussir à prendre l’écologie en considération dans nos conceptions vient du fait qu’elle reste coupée d’une interrogation philosophique sur l’existence », explique-t-elle dans un ouvrage tout juste paru au Seuil qui s'intitule Les Nourritures - Philosophie du corps politique.
L’écologie ne s’oppose pas à l’humanisme, au contraire elle le rénove et l’inscrit dans une philosophie du « vivre de » incitant à repenser la manière d’habiter la Terre. Les ressources ne sont plus considérées comme telles mais deviennent des « nourritures », qui désignent tout ce dont nous vivons et dont l’alimentation est le paradigme. Une telle approche invite à considérer le plaisir des sens, la joie de vivre, et à s’adresser aux émotions et pas seulement à la raison. Cette philosophie du corps « rabat la prétention de la conscience à prêter le sens à toute chose ». Cette phénoménologie des nourritures implique aussi une responsabilité englobant notre rapport aux autres, humains et animaux. Une responsabilité d’autant plus grande qu’elle concerne les générations futures, dont « les conditions de vie et de survie seront affectées par nos choix actuels à un niveau jamais égalé ».
Corine Pelluchon propose de considérer le rapport aux nourritures comme « le lieu originaire de l’éthique », donnant naissance à un nouveau contrat social intégrant « les intérêts des générations futures et des autres espèces dans la définition du bien commun ».
Article paru dans le numéro 256 du journal en direct de janvier-février 2015, dans le dossier intitulé « Sur les chemins de l'éthique ».