L’éthique en entreprise, entre stratégie et sincérité
Des chercheurs en économie et en sciences de gestion se sont penchés sur la question éthique dans le secteur économique. Le conflit d'intérêt, les scandales et les affaires y sont bien connus.
La notion d’éthique investit l’entreprise dans les années 1980. Elle s’y définirait essentiellement comme un moyen de manager les comportements, et se limiterait donc à son organisation interne, se distinguant de la notion de performance sociale qui, elle, s’applique à l’ensemble des « parties prenantes », ou stakeholders, de l’entreprise.
Enseignant en sciences de gestion à l’université de Bourgogne et membre du CREGO, le Centre de recherche en gestion des organisations des universités de Bourgogne et de Franche-Comté, Samuel Mercier considère pour sa part que ces deux approches ne s’opposent pas, mais au contraire qu’elles se complètent. Il souligne les lacunes de définition de l’éthique en entreprise, qui peut facilement osciller entre utopie et manipulation. Dans son dernier ouvrage1, Samuel Mercier met le doigt sur le paradoxe que « ce sont souvent des considérations non éthiques (par exemple les risques liés à la dégradation de l’image et de la réputation, la menace de procès ou encore le risque de se voir imposer une réglementation contraignante) qui sont à la base des efforts réalisés par les entreprises pour adopter et respecter une politique éthique ».
Un constat que n’ignorent pas les chercheurs du CRESE, le Centre de recherche sur les stratégies économiques de l’université de Franche-Comté, qui s’appuient sur cette réalité pour définir les moyens qui pourraient militer en faveur de l’intérêt collectif et ainsi injecter plus d’éthique dans les systèmes économiques. De la lutte contre les cartels et ententes de toute sorte au refus du travail clandestin en passant par la dénonciation de pratiques comme la manipulation de contrats, il s’agit de trouver et de mettre en place les incitations qui feront mouche.
Cafter est-il éthique?
Le programme de clémence en est une. Inscrit dans les droits européen, français et américain, il consiste à réduire, voire supprimer la sanction envers une entreprise qui dénoncerait son appartenance à un cartel et apporterait les preuves de l’existence d’une telle entente. Les chercheurs du CRESE en lien avec leurs homologues de Nancy préparent actuellement une expérience pour évaluer l’efficacité de ces programmes et mettre la théorie à l’épreuve de la pratique.
Économiste au CRESE, Karine Brisset suggère de plus s'intéresser à la vision de Amartya Sen, Prix Nobel d’économie 1998, qui « dénonce la conception trop mécaniste de la pensée économique dominante et considère qu'elle n'est pas suffisamment centrée sur la réflexion éthique ». Une vision plus large pour pouvoir prétendre à une économie du bien-être.
Laurence Godard et Yohan Bernard sont chercheurs au CREGO et partagent avec elle l’idée qu’une initiative comme la RSE, la responsabilité sociale des entreprises, même motivée par l’intérêt, même encore disparate d’une entreprise à l’autre, est résolument un nouvel outil pour améliorer l’éthique dans l’entreprise. Attachée à favoriser la formation du personnel comme le traitement écologique des déchets industriels, la RSE est soumise au bon vouloir des entreprises et uniquement déclarative. Cependant, sa cote de popularité est telle qu’il devient difficile pour un chef d’entreprise de l’ignorer.
Dans une étude qui vient de donner ses conclusions, les deux chercheurs, avec la complicité en Bourgogne de leur collègue Mohamed Zouaoui, se sont intéressés à l’influence du changement de dirigeant sur son évolution. Via les données de performance RSE évaluée par le cabinet Vigéo, ils ont mené l’enquête auprès d’une centaine d’entreprises cotées en bourse, telles Carrefour, LVMH, Accor, Michelin ou encore PSA, sur dix ans, représentant huit cents observations. « On observe qu’un changement de dirigeant produit des effets positifs sur la performance globale de la RSE au terme de cinq ans, d’autant plus si le nouveau directeur vient de l’extérieur. » Cette performance est d’autant plus forte que l’entreprise s’engage à une certaine transparence comme quand elle adhère à un référentiel de communication d’informations relatives à la RSE (Global Reporting Initiavive, GRI).
Une entreprise qui s’assure que ses fournisseurs n’ont pas recours au travail au noir, qui agit en faveur de l’environnement ou se soucie des retombées de son activité sur le territoire ne peut que marquer des points en termes d’image, et agir en faveur de sa pérennité. Une stratégie du gagnant-gagnant ? Si on peut parfois regretter le manque de conviction éthique à la base, les avancées sont là.
- Mercier S., L’Éthique dans les entreprises, Éditions La Découverte, 2014
Article paru dans le numéro 256 du journal en direct de janvier-février 2015.