Interview de la mort qui tue : les zombies sous le regard de la science
Zombies, réalité ou fiction ? Cette semaine, on plonge dans la culture populaire et des mystères du système nerveux.
L’expo de la mort qui tue* explore les frontières entre vie, existence et mort, parfois complexes à définir autant d’un point de vue physiologique que mental. Peut-on vivre et continuer de se mouvoir sans cerveau ? Quel est le rôle du système nerveux au sein de cette machine complexe qu’est le corps humain ? Sidney Grosprêtre, maître de conférences à l’UPFR des Sports et chercheur à l'université de Franche-Comté au laboratoire Culture, Sport, Santé, Société (C3S - EA 4660) , nous apporte quelques éléments de réponses.
Pouvez-vous vous présenter rapidement ?
J’enseigne et fait de la recherche dans le domaine des activités physiques et sportives. Et oui, il y a de la recherche à la faculté des sports (UPFR des Sports) et pas que pour étudier la trajectoire du ballon de foot ! Mon laboratoire, le C3S, est d’ailleurs très riche : ici se côtoient historiens, sociologues, physiologistes… Pour ma part, je suis spécialiste des neurosciences, et plus précisément de neurophysiologie : c'est à dire l’étude du système nerveux et de l’impact de l’entrainement physique sur celui-ci.
Par système nerveux, nous entendons toute la "circuiterie" du cerveau de la pointe des nerfs en passant par les réseaux de neurones de la moelle épinière. Tout ce réseau de câbles est alimenté par des impulsions électriques (générées par les neurones) : on peut dire que je suis un peu un électricien du corps humain !
Enseignant à l'UPFR des Sports, j’ai aussi un versant sportif dans mes cours. Ma spécialité est pour le moins singulière. J’enseigne le parkour, cette activité de franchissement en milieu urbain popularisée par le film Yamakasi en 2001. Je noue avec cette activité des liens particuliers, étant président de la fédération nationale (la fédération de parkour, FPK : www.fedeparkour.fr). J’effectue par ailleurs des recherches sur l’impact de l’entrainement en parkour, très varié et très complet, sur le corps humain et les capacités physiques et mentales.
Bien qu'on lui ait coupé la tête, Mike le Poulet aurait continué de vivre plusieurs mois, comment expliquer ce phénomène ?
Mike le poulet est une histoire que je reprends souvent pour illustrer le formidable pouvoir de notre système nerveux. L’image du poulet à qui l’on tranche la tête pour le faire cuire, mais qui continue de courir et de se débattre pendant quelques minutes est assez parlante. Au début du XXe siècle, un poulet a défrayé la chronique car il n’a pas continué de vivre quelques minutes mais plusieurs mois ! Surnommé Mike le poulet sans tête (Mike the Headless Chicken), il a intrigué badauds comme scientifiques du monde entier. Il fut également surnommé Miracle Mike. En 1945, un fermier de l’Utah (USA), découvre avec stupeur que l’un des poulets tués par décapitation la veille pour être mangé, est encore vivant. Les jours se succèdent, le poulet gambade toujours, sans tête. La rumeur se répand rapidement et est saisie par un journal local. Très vite, c’est la presse nationale qui s’en empare, et des gens viennent de tout le pays pour le voir. Le poulet sans tête se révèle aussi une poule aux œufs d’or car les fermiers font payer 25 cents pour le voir, ce qui leur rapporte plusieurs milliers de dollars par mois. Le poulet a ainsi vécu une carrière florissante pendant près de 2 ans. Il était nourri à la pipette par un trou béant dans son cou.
De nombreux scientifiques se sont penchés sur son cas. Alors qu’un poulet normal ne peut survivre plus d’une dizaine de minutes sans tête, comment Mike a-t-il pu vivre aussi longtemps ? Il faut se plonger dans la neuro-anatomie pour tenter d’élucider ce mystère.
Premièrement, pour vivre, il faut conserver un ensemble de fonctions vitales telles que la respiration ou lesbattements du cœur. Ces fonctions sont régulées par une zone sous-corticale située près du tronc cérébral. Ainsi, si la tête est coupée à ras du cou, il est possible de conserver ces fonctions. Le plus étonnant reste la motricité du poulet. Encore capable de marcher et de se tenir debout. Pour cela, il faut comprendre que de nombreux mouvements sont gérés non pas par le cerveau mais par des réseaux de neurones situés plus bas, dans notre moelle épinière.
La moelle épinière est l’un de mes centres d’intérêts principaux. Au risque de me fâcher avec des adorateurs de notre organe roi, je n’ai pas peur de dire que ce fantastique réseau de câble est peut-être encore plus complexe que notre cerveau. La moelle épinière n’est pas un simple câble qui relie le cerveau au reste du corps, c’est aussi un centre capable d’intégrer les informations venant de nos capteurs sensoriels et d’adapter la commande émanant du cerveau en fonction. Elle est aussi capable de générer ses propres mouvements. L’exemple le plus simple est le réflexe d’étirement. Lorsqu’un médecin frappe le tendon de votre genou avec un marteau médical, la contraction de la cuisse qui en résulte provient des neurones de la moelle épinière! C’est bien plus rapide, car l’information nerveuse a moins de chemin à parcourir que si elle devait remonter (et redescendre) jusqu’au cerveau. La moelle épinière peut aussi générer des mouvements plus complexes, qui sont pour la plupart des mouvements cycliques automatisés, comme la marche ou la course. De nombreuses études sur le chat, le rat, le singe, et ce bien avant que Mike fasse sa star, avaient déjà montré que l’on pouvait marcher sans le cerveau si la moelle épinière était conservée. On attribue en effet à la moelle épinière le contrôle de la marche et de nombreux mouvements stéréotypés (comme les réflexes).
Cette histoire, bien qu' « anecdotique », fait réfléchir sur les notions de mort et de vie. Quelles perspectives pour le corps humain ouvrent les recherches que vous menez ?
L’histoire de Mike est finalement loin d’être anecdotique ! Miracle Mike a même une statue à son effigie dans la ville qui a vu naitre la légende. Cette histoire, que l’on pourrait parfois qualifier de "sexy science" (science populaire qui n’a pour but que d’impressionner les foules mais n’apporte pas d’eau au moulin) nous rappelle à quel point notre corps et ce qui l’anime est complexe. Alors que nous pourrions croire que le cerveau est un organe indispensable au mouvement, voilà qu’il n’est finalement pas le seul et unique siège de notre motricité. Et si l’on dit souvent « le mouvement c’est la vie », alors finalement, le cerveau est-il indispensable pour vivre ? Question épineuse puisqu’il faudrait définir « vivre » pour comprendre ce qu’est « mourir ».
A l’instar de Mike le poulet, un homme a défrayé la chronique pour une histoire qui n’est pas si différente. Il s’agit de Phineas Gage, ouvreur de chemin de fer américain, qui a subi un terrible accident en 1848 : suite à une explosion sur un chantier, une barre à mine traverse son crâne. Tout le monde le croit mort, mais il survit ! On le croit ensuite condamné à vivre en légume mais il reprend très vite du poil de la bête et ne garde quasiment aucune séquelle physique et motrice, bien qu’une grande partie de son cerveau soit endommagée et perdue à jamais.
Si cette histoire pourrait n’être qu’une anecdote de plus au registre des freaks de la science, entre un poulet sans tête et un homme avec une barre de fer à travers le crâne, elle nous en apprend beaucoup sur la plasticité du corps humain et du système nerveux. Celui-ci est en effet extraordinairement plastique, c’est-à-dire qu’il a la faculté de se modeler à loisirs. Ainsi, les fonctions assurées par les parties endommagées du cerveau de Phineas Gage ont pu être assurées par une réorganisation des zones cérébrales autour de la blessure.
Mes recherches portent justement sur cette plasticité, plus spécifiquement liée à l’entrainement. On parle de plasticité neuromusculaire, car nous étudions l’ensemble du système, du cerveau au muscle. S’il est admis que le muscle se modifie avec l’entrainement, gagne en volume ou en force, les modifications nerveuses qui en découlent jouissent de moins de popularité. Pourtant, elles contribuent au moins autant à l’amélioration de notre performance, que ce soit celle du quotidien ou celle d’un sportif recordman mondial. Et contrairement au muscle, une seule séance de sport peut parfois suffire à induire des changements nerveux. Alors qu’il faut plusieurs semaines d’entrainement pour que le muscle grossisse, la plasticité nerveuse est en effet très rapide et parfois quasi-instantanée. Une partie de mes recherches portent sur les méthodes d’entrainement qui se focalisent sur le système nerveux car on peut induire une augmentation de performance sans changement musculaire. C’est le cas de l’entrainement mental. Le fait d’imaginer des mouvements par exemple active des structures nerveuses similaires à leur exécution réelle, permettant une amélioration de la commande motrice. Le système nerveux étant un réseau électrique, il est possible de le stimuler directement.
Mes recherches portent donc aussi sur la stimulation électrique du système neuromusculaire, soit au niveau du muscle (ce qu’on appelle communément l’électrostimulation) soit directement à la source au niveau du cerveau (appelée la stimulation transcraninenne). Une séance de stimulation transcranienne de 20 minutes peut induire des changements dans le cerveau qui durent plusieurs heures. La stimulation transcranienne révèle alors des effets important sur la réduction de certaines pathologies comme la dépression, les addictions, mais également sur les performances sportives. C’est ce dernier volet qui m’intéresse plus particulièrement. Evidemment, ça n’est pas douloureux car le courant est très faible.
Tout cela questionne notre vision du corps humain, et de la machine formidable que nous habitons. Si je voulais être provocateur, je dirais : alors que l’on peut faire redémarrer un cœur arrêté par électrochoc, peut-on imaginer relancer un cerveau arrêté ? Comme si on rebootait la machine.
Notre système nerveux a la dualité d’être à la fois extrêmement complexe et à la fois extrêmement simple. Etudier son fonctionnement et tenter de le comprendre est aussi ambitieux que de s’essayer à déchiffrer les mystères du cosmos. Notre réseau de neurones, telle une myriade d’étoiles interconnectées, est en fin de compte infiniment grand. Stimulez-le et il s’améliore, mettez le face à une situation complexe et il trouvera la solution en moins d’un dixième de seconde, enlevez-lui un morceau et il s’adapte…
Quoi qu’il en soit, la neurophysiologie questionne notre rapport au corps et à l’esprit, la limite entre mort et vie. Ainsi, le cerveau n’est pas l’organe maître qui nous définit, pas plus que ne l’est notre moelle épinière, notre cœur ou notre jambe gauche. Pourtant nous arrivons à vivre avec une prothèse de jambe, avec un cœur artificiel, mais il nous est difficile d’envisager vivre avec un cerveau bionique. Le cerveau a quelque chose de sacré, y toucher semble tabou. On pense encore communément que l’altérer, c’est mourir. Mais la nature challenge sans cesses cette idée, nous démontrant que vivre ne résume pas à cela. Et quand ce n’est pas la nature, c’est la médecine moderne qui fait des choses extraordinaires et ne cesse de repousser les frontières de la mort. Finalement, ce n’est peut-être qu’une question de temps avant que le cerveau soit disponible parmi les pièces détachées du stand de réparation…
Quelles sont les expériences ou les anecdotes qui vous ont marqué dans vos recherches ?
Je réalise souvent des ateliers scientifiques auprès du grand public et des scolaires. Lors de l’un d’eux avec des enfants d’une école primaire, un jeune garçon m’a un jour posé une question qui était touchante de vérité. Après tout un laïus sur le fait que notre corps est traversé de câbles qui transporte des impulsions électriques, il me demande « mais alors, pourquoi on ne s’électrocute pas quand on boit de l’eau ? ». Il me fallut un peu de temps pour trouver la bonne réponse ! C’est vrai, comment notre corps fait-il pour allier électricité et 70% d’eau sans que tout cela ne soit pas problématique ? Nous ne pouvons pas imaginer un réseau électrique fonctionner correctement dans une bassine d’eau. C’est pourtant ce que fait notre corps, il allie à la perfection les éléments, partitionnant le tout dans un système parfaitement organisé.
Les rencontres avec le grand public sont sans nul doute ce qui m’apporte le plus dans mes recherches. C’est aussi grâce à cela que je peux me questionner sur le sens de ce que je fais, avoir du recul pour comprendre parfois mes propres recherches. Et le domaine de recherche que j’arpente a cet avantage : nous sommes constamment en contact avec l’humain. Nous entrainons des individus, nous testons nos méthodes sur des personnes qui ont chacune leur compréhension des choses. Nous sommes amenés à travailler avec des athlètes, des patients, tout un chacun. Cela créé du lien, ou tout du moins permet d’en garder ! Je me souviens avoir travaillé avec un homme dans le cadre d'une expérimentation sur la stimulation transcranienne. Avant de débuter, je lui explique comment fonctionne le système nerveux et en quoi stimuler le cerveau avec un courant électrique peut modifier le système. Ce à quoi il me répond qu’il comprend parfaitement car il est… électricien ! Nous avons passé le reste de l’expérimentation à digresser sur les similitudes entre le système nerveux et un réseau électrique.
Merci beaucoup, le mot de la fin ?
Si la vulgarisation scientifique vous intéresse, si la mort et la vie vous intéressent, si la fiction vous intéresse, nous avons écrit un livre sur le zombie ! Cet ouvrage, intitulé « Zombie : mythe ou réalité » mêle notions scientifiques et histoires fantastiques, saupoudrés d’un brin d’humour et de fantaisie (https://www.editions-actusf.fr/a/collectif/zombie-mythe-ou-realite). Ce livre est tiré d’un évènement que nous organisons à l’université de Franche-Comté avec une collègue sociologue du laboratoire C3S, Audrey Tuaillon Demésy. Intitulé à juste titre « Mythe ou réalité », il a lieu tous les ans et reprend chaque année un thème de la culture populaire en invitant scientifiques à la rencontre du grand public. La thématique des zombies a été explorée en 2017, nous avons aussi développé celle des super-héros, des cyborgs… Les conférences sont accessibles en vidéo sur un site dédié (www.fiction-science.com).
Pour finir, un petit conseil qui vous sauvera peut-être la vie lors d’une prochaine pandémie : si vous avez bien suivi, viser la tête d’un zombie n’est pas suffisant pour le neutraliser !
*Pour continuer de faire vivre "L’expo de la mort qui tue" en ces temps troublés (à voir ou revoir à la Fabrikà lorsque le contexte sera plus favorable), le service sciences arts et culture de l’université de Franche-Comté vous propose une série de rendez-vous à retrouver sur le site de l’université. Que vous ayez vu ou non l’exposition, pas d’inquiétude, ces sujets sont inédits ou prolongent les pistes de réflexion qui y sont abordées.