Des sols bientôt six pieds sous terre ?
Prochainement et pour la première fois de son histoire, la Franche-Comté disposera d’une carte des sols pour l’ensemble de son territoire. Un outil de travail, de connaissance, de prévention aussi, puisqu’elle permettra d’identifier les zones les plus fragiles de l’espace comtois, et de prendre les dispositions nécessaires pour tenter de mieux les protéger. La mission est placée sous la responsabilité du laboratoire Chrono-environnement de l’université de Franche-Comté.
La Franche-Comté verra ses sols affichés au 1/250 000e sur une carte élaborée à partir de relevés de terrain et de la compilation de données existantes. Un travail de fourmi dont l’aboutissement est prévu pour 2017, au terme de plusieurs années de reconstitution patiente sous la houlette du laboratoire Chrono-environnement de l’université de Franche-Comté, s’inscrivant dans un programme national piloté par l’INRA, principalement financé par le ministère de l’Agriculture.
La carte dresse un bilan en surfaces et en distribution des grands types de sols, et restitue la composition de chacune des couches qui les constituent, appelées horizons, jusqu’à un mètre environ de profondeur. « Même si nous possédions déjà de nombreux éléments de connaissance, certaines analyses physico-chimiques complémentaires nous ont réservé quelques surprises, comme le fait que le massif du Jura abrite des sols acides assez fréquents, alors que les sols développés sur les roches calcaires sont en général proches de la neutralité », confie le pédologue Éric Lucot.
La carte est une mine de renseignements que peuvent utiliser avec profit tous les acteurs et décideurs concernés par l’aménagement du territoire, le développement durable ou encore la gestion du patrimoine naturel. Elle révèle le potentiel des sols aussi bien en matière agricole que forestière, renseignant sur les espèces d’arbres ou le type de culture à privilégier ; elle souligne les liens entre les milieux, permet de comprendre et de prévoir les transferts de polluants, sert de base aux inventaires des zones humides dont l’intérêt est primordial dans les décisions d’aménagement, et exprime le niveau de risque de dégradation des sols. Ce dernier aspect apparaît un enjeu essentiel, et alerte sur les conséquences liées à leur utilisation.
Pratiques contre nature
Les dangers majeurs sur lesquels les spécialistes attirent l’attention sont l’érosion et le tassement des sols. « Les problèmes de tassement des sols agricoles sont bien connus et mettent en cause la circulation de tracteurs et moissonneuses plus gros les uns que les autres, raconte Éric Lucot. La nouveauté, c’est de voir la forêt gagnée par le même fléau. » Là encore, la mécanisation plus forte depuis une dizaine d’années et le travail des engins, parfois sur des sols détrempés, sont responsables du phénomène.
Le tassement d’un sol signifie une moindre circulation de l’air, de l’eau et des organismes, des racines qui ont du mal à se développer, et de manière globale des plantes qui poussent mal. Les conséquences délétères sur la croissance des arbres ne seront visibles que dans dix ou vingt ans, mais elles sont déjà programmées. « Si les sols tassés sont difficiles à restaurer sur les terres cultivables, en forêt c’est une catastrophe, cela peut prendre des dizaines d’années, voire des siècles », prévient le pédologue.
Quant à l’érosion, se chiffrant à quelques dixièmes de millimètres par an lorsque le processus est naturel, elle est favorisée par l’agrandissement de la taille des parcelles augmentant le ruissellement de l’eau, par des labours trop profonds, l’utilisation des pesticides, et des pratiques responsables de la diminution de la teneur en matière organique. Selon la pente, l’érosion atteint sur certaines zones 1 à 3 millimètres par an, 5 centimètres en vingt ans, soit une perte de rendement de 15 % compensée par l’ajout d’engrais, entretenant ainsi un cercle vicieux en sa faveur. Les indications données par la carte aideront à déterminer les zones naturellement les plus sensibles, et à motiver les décisions qui s’imposent pour faire machine arrière, ou tout au moins stopper le processus.
« Pendant des centaines d’années, l’homme a réussi à travailler la terre sans l’épuiser. La mécanisation excessive et l’intensification de l’agriculture ont mis un demi-siècle à éreinter les sols, qui atteignent la limite de leur capacité de résilience. Si cinquante ans suffiront à restaurer les moins mal lotis, d’autres, où il ne subsiste que des cailloux, ne sont pas renouvelables à notre échelle de temps, plusieurs milliers d’années seront nécessaires. » Une lueur d’espoir s’accroche cependant à ce tableau noir : « une certaine prise de conscience, aujourd’hui, de l’existence des sols et de la nécessité de les préserver ». Une tendance à confirmer… et à concrétiser.
Article publié dans le numéro 260 de septembre 2015 du journal en Direct.