De calcaires en marbres, les filons du sous-sol comtois
Exploités de la fin du Moyen Âge presque jusqu’à nos jours, sans oublier la période antique, les marbres de Franche-Comté, les porphyres et les granites ont une histoire technique, artistique et commerciale à raconter. Sans compter celle de leurs origines, estimées en centaines de millions d’années…
Marbre de Miéry sur une console de l’apothicairerie de l’hôpital Saint-Jacques à Besançon (XVIIIe siècle), brocatelle de Chassal pour l’autel et le tabernacle de l’église de Viry (39) (XIXe siècle), marbre de Sampans de la colonnade de l’hôtel de ville de Gray (70) (XVIe siècle), marbre de Damparis des colonnes du palais de justice de Paris (XIXe siècle)… les marbres de Franche-Comté, du Jura surtout, se remarquent sur l’ensemble de la région et au-delà. Déjà exploités à l’époque antique, ils sont de belles imitations des marbres du Proche-Orient que l’acheminement rend alors forcément incomparables en termes de coût, et en deviennent des alternatives.
C’est au XVIe siècle que les pierres marbrières locales commencent à jalonner la Comté, sous forme de cheminées, fontaines, ornements religieux... Le marbre de Sampans (39) est le plus célèbre de l’époque, sa structure en grain d’orge et son rouge profond donnant un aspect acajou très apprécié aux chaires et aux colonnes des églises. Le XIXe siècle marque l’âge d’or de la production comtoise qui s’exporte dans tout le pays, voire dans le monde entier.
Les vases des façades du château de Chantilly sont en porphyre de Ternuay, tout comme le socle du tombeau de Napoléon 1er exposé au musée des Invalides à Paris. La brocatelle de Chassal habille de jaune et de violet les rampes des balustrades de l’opéra Garnier, où le calcaire rouge à entroques du Jura a aussi toute sa place. Mais à l’extérieur, les marbres du Jura perdent leur éclat au fil du temps et se révèlent trop fragiles. Cet écueil peut-être, puis l’évolution des goûts, et de façon certaine la difficulté d’extraction de gisements discontinus et peu accessibles concourent au déclin de l’activité marbrière en Franche-Comté au cours du XXe siècle.
Aujourd’hui la carrière d’Andelarrot, située vers Vesoul en Haute-Saône, est la seule où l’on continue à extraire, au gré des besoins, pierre de taille et pierre marbrière.
Les carrières renfermant de la pierre polissable se sont comptées jusqu’à une centaine dans le département du Jura, et soixante-six d’entre elles ont été identifiées par les chercheurs1 comme exploitées pour le marbre de façon certaine. Exception faite du site de Chassal, il s’agissait de carrières à ciel ouvert. L’extraction s’effectuait à l’aide de coins placés dans les fissures naturelles ou des saignées tracées au pic, et le bloc était détaché à la pince à talon. La découpe par usure, avec l’utilisation d’une cordelette d’acier entraînant un abrasif, permettait de découper à Chassal des blocs de 200 à 300 tonnes. Ce fil hélicoïdal inventé en 1854 ne laissera la place au diamant industriel qu’au cours du XXe siècle : la vitesse de sciage passe enfin de 1 ou 2 cm à 25 cm à l’heure.
C’est à proximité des carrières les plus importantes que s’ouvrent les centres marbriers où s’organisent les opérations de sciage, de polissage et de production : à Molinges après la découverte de la brocatelle de Chassal dans les années 1770, à Saint-Amour où la marbrerie connaît un renouveau à partir de 1815, et dans la région doloise en 1857, tout près des carrières de Sampans et de Damparis. Désormais unique dans la région, la marbrerie de Saint-Amour n’alimente plus son activité d’aucune ressource locale... et la restauration des édifices de Franche-Comté ne fait plus appel aux matériaux pourtant toujours bien présents dans son sol.
- Ce travail est le fruit d’une étroite collaboration entre géologues du laboratoire Chrono-environnement, L. Poupard, ingénieur du Service régional de l’inventaire et du patrimoine, et R. Le Pennec, naturaliste jurassien.
Article publié dans le journal En direct numéro 252 de mars 2014.
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