Mouvement syndical et globalisation dans le Nord-Est de la France et la Belgique depuis les années 1960
22 Mai 2019
Troisième séance d’un séminaire consacré aux mouvements sociaux et syndicalismes des années 1960 aux années 2000, avec Pascal Raggi, maître de conférences en histoire à l’université de Lorraine, Bruno Prati, chercheur associé au Centre Lucien Febvre de l’Université de Franche-Comté et Cédric Lomba, directeur de recherche au CNRS au laboratoire CRESSPA à Paris.
Jean-Paul Barrière, professeur d’histoire au Centre Lucien Febvre, organise un séminaire en quatre séances dans le cadre de son projet de recherche « Mouvements sociaux, syndicalismes et territoires dans les mutations économiques (années 1960 - années 2000) ».
Intervention de Pascal Raggi : « La CFDT et la CGT dans la sidérurgie lorraine des années 1960 à nos jours »
Des années 1960 jusqu’à nos jours, la période de désindustrialisation subie par la sidérurgie lorraine est celle de profondes transformations successives des syndicats majoritaires dans les usines – la CFDT et la CGT – et de mutation globale des luttes sociales dans un contexte de très fortes contractions du nombre d’emplois sidérurgiques. Cette évolution se réalisant au niveau national comme au niveau régional du temps de l’apogée de la syndicalisation jusqu’à l’époque de la désyndicalisation.
En partant du constat que les effectifs ouvriers ont considérablement fondu consécutivement au processus de désindustrialisation, force est de constater que les syndicats représentatifs dans la sidérurgie lorraine peuvent être étudiés selon l’angle d’approche saillant que constitue, dans ce cadre démographique baissier, la mutation de leur rôle pour des travailleurs de moins en moins nombreux. Grâce à des connaissances issues d’études historiques et sociologiques précédentes, par l’intermédiaire de témoignages inédits et à l’aide de la consultation d’archives et d’écrits syndicaux, il est ainsi envisageable d’apporter un éclairage nouveau sur l’évolution syndicale de la CFDT et de la CGT dans la sidérurgie lorraine. La CFDT de la sidérurgie devient ainsi un acteur incontournable des politiques de reconversion industrielle. Dès les années 1960-1970, le slogan « vivre et travailler au pays » résumant assez bien le choix de privilégier l’emploi, parfois au détriment d’une tradition industrielle ancienne. La ligne politique et revendicative de la CGT de la métallurgie a pu être très différente, notamment lorsqu’elle prônait le maintien coûte-que-coûte des industries sidérurgiques régionales. En tout cas, les grèves et les mouvements sociaux de 1967, 1979, 1984 et 2013 constituent les éléments d’une chronologie des luttes syndicales des sidérurgistes de la CFDT et de la CGT dont les modalités se sont adaptées, au fil du temps, à l’affaiblissement numérique, politique et symbolique des ouvriers de l’industrie lourde.
Intervention de Bruno Prati : « Syndicats et SCOP en France dans le dernier tiers du XXe siècle, à partir de l’exemple ardennais »
« Il n’y a plus de patrons, il n’y a plus d’usines, il n’y a plus de syndicats ! ». Ce constat amer d’un ouvrier, recueilli dans l’émission de radio « Bonjour la sous-France » (Daniel Mermet, 2014), résume quatre décennies de désindustrialisation dans les Ardennes et les difficultés du mouvement syndical à répondre à l’effondrement de pans entiers de l’appareil productif du département. L’objectif de cette communication est d’étudier les singularités des stratégies élaborées par les sections syndicales d’entreprise dans le contexte anxiogène des années 1980 car, dans trois bassins d’emploi (le Pays sedanais, la pointe de Givet et Charleville), les références aux lignes confédérales s’effacent devant les enjeux locaux, ce qui a pour effet de créer des alliances multiformes entre les différentes organisations syndicales, dont le choix des moyens d’action varie de la révolte violente à la proposition d’alternative économique. L’exploitation des archives inédites de deux coopératives ouvrières (Manil-France et L’Ardennaise de Forge), de l’Union locale CFDT de Sedan, des Unions départementales des syndicats CGT et CFDT, combinée à celle de la presse syndicale ardennaise et nationale entre 1970 et 1990, permet une variation de l’échelle d’analyse entre les différents niveaux des organisations syndicales et de s’interroger sur les tensions provoquées par la spontanéité des moyens d’action décidés par la base. Enfin, les témoignages de militants posent des regards multiples sur une situation sociale inédite et aident à reconstituer de manière vivante tous les processus de l’action syndicale dans un combat dont l’issue parait, pour de nombreux salariés, inéluctable.
Intervention de Cédric Lomba : « Les ouvriers de la sidérurgie belge et les restructurations de longue durée »
Cette communication analysera les pratiques et les réactions de collectifs syndicaux dans le contexte de restructurations permanentes de l’industrie sidérurgique belge depuis les années 1970. Les usines étudiées (ArcelorMittal) ont subi des plans répétés de réductions d’effectifs (de 25 000 à 1 000 travailleurs) mais le taux de syndicalisation y est resté très élevé (plus de 90% pour les ouvriers). Nous soulignerons dans un premier temps les réactions des directions syndicales pour limiter les effets des réductions d’effectifs et contrer la mise en place d’une logique gestionnaire par des experts. Dans un deuxième temps, nous nous concentrerons sur les ajustements du syndicalisme d’atelier, moins étudié par la sociologie des relations professionnelles, face à ces épreuves d’incertitudes répétées. Nous insisterons en particulier sur les transformations de la morphologie sociale du groupe en diminution des délégués syndicaux, sur l’élargissement de leurs activités de défense individuelle et collective des travailleurs, et sur les reconfigurations des résistances organisées en usine. La recherche s’appuie sur deux enquêtes menées à la suite de deux plans de restructuration (1996-2001 et 2010-2015). Ces enquêtes croisent une recherche ethnographique dans trois usines d’ArcelorMittal, des entretiens informatifs et biographiques avec des ouvriers, des délégués syndicaux, ainsi que des archives d’entreprise et de riches archives syndicales.
L’action de recherche « Mouvements sociaux, syndicalismes et territoires dans les mutations économiques (années 1960 - années 2000) » est soutenue par la Région Bourgogne-Franche-Comté et s’inscrit dans la programmation scientifique du Centre Lucien Febvre et de la MSHE Ledoux.
Horaires
De 13h30 à 18h
Lieu
- MSHE – Maison des sciences de l'homme et de l'environnement Claude Nicolas Ledoux
1 rue Charles Nodier
25000 Besançon