L’Hadopi protège-t-elle vraiment les auteurs ?
Pascal Kamina, juriste spécialiste du droit d’auteur, s’interroge sur l’efficacité du dispositif Hadopi sur le téléchargement illégal, comparé aux mécanismes préexistants.
Vous êtes enseignant-chercheur à l’UFR SJEPG et avocat spécialisé dans les questions de propriété intellectuelle. Que pensez-vous du dispositif Hadopi ?
Comme beaucoup de praticiens du droit d’auteur, j’ai tout d’abord été étonné qu’on choisisse de mettre en place un système parallèle d’avertissements et de sanctions avec une autorité indépendante, alors que la France dispose déjà d’un arsenal puissant en matière de lutte contre la contrefaçon. Il existe en effet toute une série de procédures et de mesures qui permettent de poursuivre et de punir sévèrement ce délit sur l’Internet. Un internaute reconnu coupable de contrefaçon est passible de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende, tandis que l’Hadopi prévoit au maximum 3 750 euros et une suspension temporaire de l’abonnement. On pouvait donc légitimement s’interroger sur l’utilité de ce dispositif. En réalité, l’Hadopi a été conçu pour dissuader et éduquer plutôt que comme un système répressif.
Peut-on parler de contrefaçon à propos du téléchargement illégal de musique ou de films sur Internet ?
Oui, il s’agit bien de contrefaçon, c’est-à-dire d’atteinte à la propriété intellectuelle. Un auteur a des droits exclusifs, définis par la loi, parmi lesquels figure celui de transmettre l’œuvre sur un réseau de télécommunication. Quand vous exercez l’une des prérogatives de l’auteur sans son autorisation ou sans celle de son ayant droit (éditeur, producteur ou société d’auteurs, selon les cas), vous êtes contrefacteur.
Ne peut-on pas copier un disque ou un film pour son propre usage ?
Le code de la propriété intellectuelle consacre effectivement une exception, dite « de copie privée », dont beaucoup d’internautes imaginent qu’elle couvre le téléchargement sur Internet. Mais la copie privée n’est possible qu’à condition que la source soit licite. Si vous achetez un CD, rien ne vous empêche de le copier pour votre usage personnel, mais si cette copie est mise à disposition sur Internet, elle devient une contrefaçon. Le fait de la diffuser constitue d’ailleurs un deuxième acte de contrefaçon. Dans ces circonstances, la bonne foi de l’internaute est inopérante et nul n’est censé ignorer la loi. Les intermédiaires de l’Internet (fournisseurs d’accès, hébergeurs, plates-formes d’échange) bénéficient cependant d’un régime de responsabilité particulier : ils n’ont pas l’obligation de vérifier tout ce qui transite par leurs réseaux ou sur leurs sites. Ce qui fait quelquefois croire à tort que certains fichiers largement diffusés sur ces plateformes licites sont eux-mêmes licites.
Que feriez-vous en tant qu'éditeur ou producteur pour protéger vos interêts ?
Si j’étais un ayant droit et si j’en avais les moyens, je préfèrerais attaquer les gros contrefacteurs, comme les sites de téléchargement, par les procédures juridiques classiques. Mais ces procédures sont longues et complexes et, souvent, les ayant droit hésitent. D’où l’intérêt d’un système comme l’Hadopi pris en charge par une autorité administrative indépendante aidée par les sociétés d’auteurs et de producteurs. Mais j’insiste sur le fait que, contrairement à l’idée générale qu’on s’en fait, ce système ne sanctionne pas directement l’atteinte au droit d’auteur. Il sanctionne le fait de ne pas avoir sécurisé son accès internet après plusieurs avertissements dénonçant son utilisation à des fins de téléchargement illicite1. D’où les sanctions plus faibles que celles de la contrefaçon. Il est d’ailleurs paradoxal de voir à quel point, aujourd’hui, ce mécanisme est mal perçu et passe pour un instrument de censure alors même qu’il est moins répressif.
Ce système est-il efficace ?
Si l’Hadopi doit avoir un certain effet dissuasif sur les petits contrefacteurs, je doute qu’elle agisse beaucoup sur les gros. A ce jour, un nombre impressionnant de courriers d’avertissement a été envoyé, mais les résultats sont très maigres, avec environ une cinquantaine de dossiers transmis, trois procès, un condamné, un relaxé et une dispense de peine. Il n’y a eu aucune suspension d’Internet. Si le but était de sanctionner, ce n’est pas très efficace. Quant à l’impact dissuasif, il est difficile à évaluer, d’autant que certaines formes de piratage ont échappé à la surveillance de cette autorité. Ceci dit, le principe de l’Hadopi vise également à encourager l’offre légale qui, selon moi, est le meilleur moyen de lutter contre la piraterie.
On parle beaucoup de Netflix aujourd’hui, ces nouvelles offres vont-elles changer les comportements ?
L'arrivée de Netflix et la généralisation des offres de vidéo à la demande sur abonnement (SVOD ou VOD) accessibles à tout moment sur tous types de plateformes (TV, tablettes, portables, PC) va renforcer la demande des internautes. Si celle-ci n'est pas satisfaite légalement, j'ai bien peur qu'ils se tournent en masse vers des solutions clairement illicites ou vers des systèmes de contournement préjudiciables aux intérêts des auteurs que l’Hadopi et les ayants droit pourront difficilement contrôler : par exemple l’utilisation de connexion cryptées pour consulter des sites de SVOD licites établis à l'étranger.
- Il est plus facile d'identifier l'abonné que le contrefacteur (n'importe qui peut avoir utilisé la ligne Internet). Mais comme on ne peut pas vraiment sanctionner l’abonné sans apporter la preuve qu'il a bien commis les actes de contrefaçon ou prêté sa connexion en connaissance de cause, il a fallu prévoir une infraction spécifique : le fait de ne pas avoir sécurisé sa ligne pour éviter qu'elle soit utilisée pour des téléchargements illicites.
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Pascal Kamina
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