La légalisation des jeux en ligne
Depuis le 13 mai 2010, certains jeux d'argent sont autorisés sur Internet. Adaptation de la loi à une réalité préexistante ou danger pour la société ? Benoît Grimonprez, juriste à l'université de Franche-Comté, fait le point sur cette question.
Quelle était la situation avant mai 2010 ?
La Française des jeux, le PMU et les casinos détenaient le monopole des jeux d'argent. Il existait un versant Internet légal de leur activité. Mais les sites illégaux domiciliés à l'étranger étaient pléthore et très faciles d'accès. L'État n'avait aucun contrôle sur ces sites ni sur leurs rentrées d'argent. Les joueurs qui les utilisaient ne bénéficiaient d'aucune protection.
Tous les jeux ont-ils été légalisés ?
Non. La loi ne concerne que les paris sportifs, les paris hippiques et les jeux dits « en cercle » qui combinent hasard et stratégie, comme le poker. Des jeux plus aléatoires comme la roulette ou le bandit manchot n'ont pas été libéralisés car il est difficile de contrôler les arnaques sur Internet. Il n'y a pas non plus eu d'ouverture à la concurrence des jeux dits « physiques », où les gens se rencontrent pour jouer réellement.
Quelle est la différence entre le jeu sur Internet et le jeu « physique » ?
Au casino, au bar PMU ou dans les cercles de poker, les joueurs se rencontrent. L'aspect social disparaît en grande partie avec Internet. Le jeu est aussi plus facile : on y accède en quelques clics et à n'importe quelle heure du jour et de la nuit. Face à un écran d'ordinateur, les barrières psychologiques ne sont plus les mêmes : il y a une sorte de déréalisation du jeu.
Pourquoi cette légalisation ?
En 2007, la France, à l'instar de la Grèce et de la Suède, a été condamnée par la commission européenne pour sa politique en matière de jeux en ligne, jugée trop peu ouverte à la concurrence. La question a fait débat, car si les enjeux économiques, en termes de recettes fiscales notamment, sont importants, les conséquences sociales le sont aussi. Faut-il inciter les gens à jouer, et, indirectement, à perdre ? Les détracteurs du projet ont fait valoir la sauvegarde de l'intérêt général. Mais en 2008, le rapport Durieux1 adressé au premier ministre préconisait l'ouverture à la concurrence de ce secteur. La loi a été promulguée le 12 mai 2010.
Comment les sites de paris illégaux ont-ils réagi ?
La plupart ont cherché à se mettre en conformité avec la loi et ont demandé un agrément pour poursuivre leur activité. Cet agrément est donné par une autorité indépendante sous tutelle de l'État : l'ARJEL2. Il est valable 5 ans. Pour l'obtenir ou le renouveler, les sites doivent présenter un certain nombre de garanties en termes de sécurité et d'information des parieurs sur les dangers du jeu. J’espère qu’ils ne se contenteront pas de messages d'avertissement purement formels pour s'acquitter de leurs obligations.
La publicité est-elle autorisée ?
Oui, dans un certain cadre. Les publicistes ne peuvent pas employer de formules trop incitatives ou mensongères. On peut cependant supposer qu'avec l'augmentation de l'offre et la publicité, la masse des joueurs va augmenter. Des personnes qui n'osaient pas jouer dans l'illégalité vont peut-être franchir le pas.
Pensez-vous que cette législation soit une bonne chose ?
Je pense que c'est une chose paradoxale qui reflète assez bien notre époque : on veut favoriser certaines activités économiques tout en dissuadant les gens de s'y adonner. Le jeu fait partie de la société. Sur le plan du droit, c'est une avancée puisque nos lois en la matière dataient du XIXe siècle. Je crains cependant que l'on ne mesure pas toutes les conséquences sociales et psychologiques de cette innovation. Des gens fragiles peuvent vite se retrouver dans l'engrenage. Quoi qu'il en soit, ce changement témoigne d'une évolution sociale : le jeu est mieux admis moralement.
- Loi no 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne.
- Autorité de régulation des jeux en ligne.
Article paru dans le numéro 147 du magazine tout l'Ufc d'avril-mai-juin 2011.
Contact
Benoît Grimonprez
benoit.grimonprez@univ-fcomte.fr
Centre de recherches juridiques de l'UFC
http://crjfc.univ-fcomte.fr
UFR SJEPG
http://sjepg.univ-fcomte.fr