Deux étudiantes lettones sur scène, en costume d'époque, l'une ouvrant largement les bras.
Rose-Marie Volle
Auteur 
Delphine Gosset

Lagarce : un théâtre de la parole

Fin mai, le metteur en scène et auteur Jean-Luc Lagarce était à l’honneur d’une semaine de rencontres franco-lettones autour de l'art dramatique. Ateliers, tables-rondes et spectacles ont permis de se replonger dans une œuvre originale et d'analyser son usage particulier de la langue.

Jean-Luc Lagarce (1957-1995) était un célèbre dramaturge franc-comtois. Il a passé toute son enfance à Valentigney, à côté de Montbéliard, avant de venir à Besançon pour y suivre en parallèle des études de philosophie à la faculté des lettres et sa formation théâtrale au conservatoire. S’il a réussi à être reconnu de son vivant pour ses talents de metteur en scène, il ne l’aura véritablement été pour ses écrits que de manière posthume1. Il est pourtant aujourd’hui l’un des auteurs les plus joués et son œuvre a été traduite dans de nombreuses langues. L’adaptation cinématographique par Xavier Dolan de l’une de ses pièces – « Juste la fin du monde » – vient d’ailleurs de remporter le prix du jury du festival de Cannes.

En tant que passionnés de théâtre, les membres du Théâtre universitaire de Franche-Comté (TUFC) s’intéressent tout naturellement à cet auteur. « Nous nous sommes demandé si sa langue et les thèmes qu’il aborde : l’amour, la mort, la maladie, la famille, la création artistique pouvaient résonner chez les jeunes d’aujourd’hui », explique Ghislaine Gaultier, du TUFC.

Cette association est par ailleurs très portée sur les échanges internationaux, comme en témoignent les traditionnelles Rencontres internationales de théâtre universitaire (RITU) qu’elle organise chaque année. Elle est notamment en relation avec l’Académie de la culture de Lettonie2, à Riga, en la personne de Jonathan Durandin, ancien étudiant de l’université de Franche-Comté devenu professeur de français langue étrangère et metteur en scène à ses heures. Pour enseigner la langue française et faire découvrir la culture francophone à ses étudiants, celui-ci anime un atelier de théâtre dans lequel il utilise des textes de Lagarce.

C’est ainsi qu’est née l’idée d’organiser, dans le cadre du Joli mois de l'Europe, une semaine d’échanges et de rencontres franco-lettones autour de cet auteur. Jonathan Durandin, Aguita Smilga et Ilze Kublicka – deux étudiantes lettones qui apprennent le français depuis quatre ans – ainsi qu’Aurélie Saillard – étudiante en deuxième année de master en séjour Erasmus à l’Académie de la culture de Riga – ont répondu à l’invitation du Théâtre universitaire et sont venus à Besançon du 22 au 28 mai pour participer à cette semaine intitulée « Les mots de Jean-Luc Lagarce. »

Cécile Pollart

Plusieurs ateliers ont été proposés au public. Jonathan Durandin a montré l’efficacité du théâtre comme moyen d’apprendre une langue étrangère à travers une initiation à la langue lettonne. Axelle Baux, étudiante en troisième année de licence Arts du spectacle, a proposé des saynettes et discussions autour des grands thèmes de l’œuvre de Lagarce. Délia Georges, en deuxième année de master dans cette même filière, a fait découvrir l’écriture de cet auteur et notamment son usage intensif de la ponctuation.

Une langue singulière

Les pièces de Jean-Luc Lagarce – et c’est sans doute l’une des raisons de son succès tardif – se caractérisent par une écriture atypique et parfois déroutante : ses textes sont basés sur des redondances, les personnages reprenant sans cesse ce qu’ils viennent de dire avec des modifications, ce qui donne au discours un rythme et une profondeur particulière. « Lagarce était fasciné par la manière dont, dans la conversation, les gens essaient de préciser leur pensée par du tâtonnement. Il a créé un théâtre de la parole, des hésitations, des dits et des non-dits. Ses personnages sont empêtrés dans les difficultés de la langue. Dans sa dramaturgie, le langage prime sur les évènements », a expliqué Hélène Kuntz, maître de conférences en études théâtrales à l’université Sorbonne-Nouvelle, lors de l’une des rencontres publiques qui ont rythmé cette semaine. Un autre invité, François Rancillac, directeur du Théâtre de l’aquarium, a évoqué « un vocabulaire à la fois volontairement pauvre et d’une sophistication monstrueuse. »

François Berreur, metteur en scène et directeur de la maison d’édition Les solitaires intempestifs3,  a collaboré avec Jean-Luc Lagarce pendant 15 ans. Il a expliqué que cet auteur « cherchait à s’inscrire dans l’histoire de l’art dramatique en imaginant ce que pourrait être le théâtre après des auteurs comme Beckett, Ionesco ou Genet » et a raconté comment il a échoué à séduire son public avant d’obtenir la reconnaissance internationale qu'on lui connaît aujourd’hui. La question de la vocation artistique contrariée se retrouve d'ailleurs chez de nombreux personnages de son œuvre, comme l'a montré Alexis Leprince, doctorant à l’université de Franche-Comté. Enfin, Tinouche Nazmjou, traducteur de Jean-Luc Lagarce en persan, et les deux étudiantes lettones ont donné leur point de vue d'étrangers sur la langue de Lagarce.

Ces deux étudiantes Lettones ont également donné une représentation théâtrale d'après Les règles du savoir vivre dans la société moderne, une pièce écrite en 1994 que Jonathan Durandin a mise en scène sous le titre Ainsi que cela continue. Ce long monologue évoque un livre qui règle et ordonne tout, en toutes circonstances, proposant une solution pour tous les instants de la vie. Les membres du Théâtre universitaire ont eux-aussi proposé leur création, Sur les traces de..., qui revisite l'univers de Lagarce à partir de différents textes, dont des lettres et des articles. Enfin, un groupe de huit étudiants a réalisé un court métrage reprenant des textes et des thèmes récurrents chez cet auteur : la famille, la maladie, la mort. « Nous avions tous étudié Lagarce pendant notre licence en Arts du spectacle et la plupart d’entre nous n’aimaient pas, mais beaucoup ont changé d'avis après avoir réalisé le court métrage », conclut Axelle Baux.

  1. Il est mort du Sida en 1995
  2. Il s'agit d'un établissement d’enseignement supérieur qui propose des formations dans les domaines des sciences humaines, des arts du spectacle et du cinéma.
  3. Maison d'édition créée par Jean-Luc Lagarce et François Berreur pour défendre les écritures novatrices.
L'équipe du théâtre universitaire sur scène. Groupe de 12 personnes, hommes et femmes, debout devant une table où est posée une machine à écrire.
Portrait de Jonathan Durandin
Une jeune femme assise les bras croisés.
Laura Espadas
Portrait d'Alexis Leprince

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