Photo extraite du film « Juste la fin du monde » de Xavier Dolan
Shayne Laverdière
Sons of Manual
Auteur 
Catherine Tondu

Juste la suite de l'histoire

S’il est connu et reconnu de son vivant comme metteur en scène, Jean-Luc Lagarce n’atteint la notoriété comme auteur de théâtre qu’après sa mort, survenue à l’âge de 38 ans. Une nouvelle forme de consécration publique arrive aujourd’hui avec le Grand Prix du jury à Cannes pour le film de Xavier Dolan tiré de sa pièce Juste la fin du monde, dont la sortie en salle est prévue le 21 septembre. Mais le comtois Jean-Luc Lagarce est aussi l’auteur contemporain le plus joué en France, et son œuvre a déjà fait bûcher plus d’un étudiant en lettres ou en théâtre. Son histoire se poursuit également à travers l’accès numérique aux archives des textes, manuscrits et notes qui ont accompagné la genèse de son œuvre : un travail de plusieurs années absolument unique pour une œuvre aussi récente, réalisé au laboratoire ELLIADD de l’université de Franche-Comté.

Tout est dit, l’intrigue, l’essence, le ton. Film glorifié par la critique à Cannes en 2016 alors que la pièce, écrite en 1990, avait essuyé maints refus, Juste la fin du monde est emblématique de l’œuvre de Jean-Luc Lagarce. Elle aborde des thèmes chers à l’auteur, l’errance, le retour du fils prodigue, les fractures familiales et sociales, dans une intrigue minimaliste et intimiste où dominent la force et la construction du texte.

« Si la pièce s’inspire de certains éléments de réalité et fait implicitement référence à la mort prochaine de l’auteur atteint du sida, elle n’est pas une œuvre autobiographique. Les rapports que l’auteur entretenait avec sa propre famille étaient notamment très différents », raconte Pascal Lécroart, enseignant-chercheur en lettres modernes à l’université de Franche-Comté. Responsable du projet de numérisation des archives de l’auteur disparu, Pascal lécroart a appris appris à connaître par cœur son parcours, de sa naissance à Héricourt (70) en 1957 à sa mort en 1995 : ses études en philosophie à la faculté de lettres de Besançon, son passage au conservatoire d’art dramatique de la ville, la création du Théâtre de la Roulotte en 1978, bientôt subventionné par les collectivités locales jusqu’au ministère de la Culture, les lectures de ses textes sur France Culture, l’échec de pièces peut-être trop novatrices, les succès de ses mises en scène de Ionesco ou de Labiche, la fondation en 1992 des éditions Les Solitaires intempestifs, toujours à Besançon et avec François Berreur, devenu son plus proche collaborateur et soutien, l’écriture de l’œuvre enfin.

Erreur de construction en 1977, Le voyage de Madame Kniper vers la Prusse orientale en 1980, Vague souvenir de l’année de la peste en 1982, Derniers remords avant l’oubli en 1987, Juste la fin du monde en 1990, J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne en 1994 et l’ultime Pays lointain en 1995 figurent parmi les vingt-cinq pièces de théâtre écrites par Jean-Luc Lagarce, qui constituent la part essentielle de son œuvre. « François Berreur les a toutes éditées aux Solitaires intempestifs, après la mort de Jean-Luc Lagarce. Ses textes ont alors gagné la notoriété et la reconnaissance du public comme de la critique. »

Numérisation d’archives et étude génétique de l’œuvre

C’est ce même François Berreur qui, connaissant la compétence du Centre Jacques Petit en la matière, a fait appel à Pascal Lécroart pour assurer la numérisation et la mise en ligne des textes et manuscrits de Lagarce, jusqu’alors uniquement disponibles à la consultation à l’Institut mémoires de l’édition contemporaine (IMEC) près de Caen. Le développement de FANUM, le fonds d’archives numériques de la Maison des sciences de l’homme et de l’environnement (MSHE) et les compétences du Centre Jacques Petit dans le laboratoire ELLIADD se sont conjugués pour mener à bien ce projet. Il s’agissait non seulement d’assurer un travail de compilation et d’archivage exhaustif des documents, mais aussi d’apporter une dimension scientifique à ce travail, dans une perspective de génétique théâtrale.

« Cette démarche scientifique permet de retracer la genèse et l’évolution d’une œuvre, et d’aller aux sources de la compréhension de l’écriture d’un auteur. La conception du site tient compte de cette dimension, et est adaptée aux besoins en informations et aux façons de travailler des chercheurs », explique Pascal Lécroart. À ce jour, 5 700 des folios traités sont disponibles en ligne, 12 800 sont prêts et en attente de publication, et 5 000 sont en cours de numérisation.

Le projet FANUM Lagarce a reçu le soutien de la MSHE par conventions successives ; il a intégré le consortium CAHIER au sein de la très grande infrastructure de recherche (TGIR) Huma-Num en décembre 2014 et a obtenu une subvention de près de 10 000 euros sur trois ans de la part de la Région Franche-Comté en 2015, dans le cadre du programme NEVA (numérisation, exploitation et valorisation d’archives en arts du spectacle), qui s’accompagne du financement d’une thèse d’étude génétique du théâtre de Lagarce réalisée par Alexis Leprince.

Le site sera présenté lors d’une journée d’études organisée par la MSHE et le laboratoire ELLIAD, en partenariat avec le Centre dramatique national (CDN) de Franche-Comté. Cette journée de restitution du projet scientifique aura lieu le 7 octobre prochain en écho à la sortie du film, se prêtant à point nommé à une explication de la démarche de génétique théâtrale, sous le titre « Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce : des premiers brouillons à l’adaptation cinématographique ».

Article paru dans le numéro 266 de septembre-octobre 2016 du journal en direct.

Contact

Fonds numérique d'archives Jean-Luc Lagarce
http://fanum.univ-fcomte.fr/lagarce

Pascal Lécroart
pascal.lecroart@univ-fcomte.fr

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