Interview de la mort qui tue : lecture d’un paysage défunt
Cette semaine dans l'expo de la Mort qui tue* on regarde en arrière pour mieux comprendre le présent et l’évolution des écosystèmes. Archéologie du paysage…
A l’heure où l’on entend beaucoup parler de l’anthropocène1 comme nouvelle ère dont l’impact humain joue un rôle fondamental dans l’évolution de l’environnement et du climat, l’analyse des paysages peut apporter des clés de compréhension. Elle peut peut-être proposer des solutions pour répondre aux problématiques écologiques actuelles. Émilie Gouriveau, doctorante en fin de thèse au sein du Laboratoire Chrono-Environnement (UMR 6249 CNRS) de l’université de Franche-Comté, apporte quelques éléments de réponses.
Pouvez-vous vous présenter rapidement ?
J’étudie l’impact des activités passées et récentes sur les écosystèmes des Vosges du nord en utilisant une approche multi-proxy, c’est-à-dire en utilisant plusieurs indicateurs. Dans le cadre de ma thèse, j’utilise principalement la palynologie (l’étude des pollens) mais également l’étude des microfossiles non-polliniques (comme les spores de champignons), des micro-particules carbonisées ainsi que l’étude des sédiments et notamment des éléments chimiques qu’ils contiennent afin de repérer d’éventuelles pollutions liées aux activités humaines.
En quoi consiste l'étude des pollens et à quoi sert-elle ?
L’étude des pollens (ou palynologie) consiste en l’identification et le comptage de grains de pollen anciens, déposés dans des zones humides dans lesquelles ils se conservent très bien (dans mon cas, des tourbières). Concrètement, il faut trouver une tourbière et prélever une carotte de tourbe (on appelle carotte un cylindre de sédiment) en enfonçant un carottier perpendiculairement au sol. Ensuite, il faut prélever des échantillons tout au long de la carotte et en extraire les pollens qui seront ensuite identifiés au microscope.
La palynologie est une discipline qui permet, entre autre, de reconstituer des paysages du passé. Pour cela on se base sur deux principes essentiels. Le premier repose sur le fait que chaque plante produit un pollen qui possède des critères morphologiques propres. Ainsi, si on retrouve un pollen dans la tourbe, on peut, en l’observant au microscope, savoir de quelle plante il provient. Le deuxième principe est le suivant : plus on descend sous la surface du sol, plus on remonte dans le temps et que, grâce à la technique de datation au Carbonne 14, on peut dater précisément ces périodes anciennes. Ainsi, il par exemple possible d'identifier un pollen de chêne dans une couche de sol datée de 2000 avant notre ère et en conclure la présence de cette essence à cette période.
Comment expliquer l'importance des pollens sur l'étude d'un paysage ?
Les pollens sont produits par les plantes à fleurs et chaque plante à des exigences écologiques précises. En fonction des conditions de l’environnement, on ne trouvera pas les mêmes plantes et donc pas les mêmes pollens. C’est cette adaptation des plantes à leur milieu qui permet notamment d’appréhender les climats du passé mais aussi de reconstituer les conditions écologiques. Certaines plantes ne supportent pas les climats continentaux, d’autres ont besoin d’un sol sec, certaines ont besoin de lumière pour pousser, d’autres non…
Il existe également des plantes qui sont liées à la présence humaine et aux différentes activités anthropiques. C’est le cas bien sûr des céréales mais aussi de nombreuses autres plantes comme les plantes messicoles (qui poussent dans les cultures), les plantes rudérales (qui poussent dans des milieux liés à une présence humaine : bord des chemins, décombres, proximité des habitations…), les plantes prairiales (liées aux prairies), celles liées aux zones piétinées, etc… Toutes ces plantes et donc leurs pollens, apportent des informations sur les activités humaines. Les pollens d’arbres, lorsqu’ils sont présents en plus petites quantités dans nos échantillons, peuvent également indiquer un déboisement. Avec tous ces indices, il est possible de proposer une reconstitution d’un paysage pour une période donnée.
Avez-vous déjà eu des "surprises" dans vos recherches, un résultat, une observation inattendue ?
Dans le cadre de ma thèse, j’ai identifié les pollens d’une plante dans des échantillons datés de la fin du VIIe siècle ap. J.-C. alors que jusqu’à présent, cette plante était considérée comme introduite par l’homme au XIXe siècle !
Le mot de la fin ?
En plus de tout ce que nous apporte les pollens, ils sont magnifiques observés au microscope !
1 Anthropocène : Période actuelle des temps géologiques, où les activités humaines ont de fortes répercussions sur les écosystèmes de la planète (biosphère) et les transforment à tous les niveaux. (On fait coïncider le début de l’anthropocène avec celui de la révolution industrielle, au xviiie s.)
*Pour continuer de faire vivre "L’expo de la mort qui tue" en ces temps troublés (à voir ou revoir à la Fabrikà lorsque le contexte sera plus favorable), le service sciences arts et culture de l’université de Franche-Comté vous propose une série de rendez-vous à retrouver sur le site de l’université. Que vous ayez vu ou non l’exposition, pas d’inquiétude, ces sujets sont inédits ou prolongent les pistes de réflexion qui y sont abordées