Le théâtre comme porte d'entrée dans la langue italienne
Monter sur les planches pour interpréter un mafioso repenti dans une langue qu’on ne maitrise pas forcément ? Ça n’a pas effrayé les étudiants qui participaient cette année à un nouvel atelier théâtre à l’UFR SLHS. Récit d’une initiative ambitieuse.
Tout est parti d’un e-mail envoyé en septembre 2016 aux étudiants de l’UFR SLHS. Dans son message, Teresa Solis, lectrice au département d’italien, propose à qui veut de participer à un atelier de théâtre en italien. Une petite dizaine d’étudiants se montrent intéressés. Teresa Solis a choisi une pièce de théâtre qui vient d’être traduite en français : Mi chiamo Antonino Calderone, de Dacia Maraini1. Un sujet fort puisque cette œuvre raconte l’histoire vraie d’un ex-membre de Cosa Nostra. Le premier semestre a été consacré à la lecture et à la compréhension de la pièce, à raison d’une heure d’atelier chaque semaine. Certains n’ont jamais pris de cours d’italien. Ce n’est pas un problème pour Teresa Solis : « Avec cet atelier, mon but était de voir comment, à travers le théâtre, on peut s’emparer d’une langue, se l’approprier, même en ne connaissant pas le détail de sa grammaire et de sa syntaxe. »
Dans l’idée de monter cette pièce au deuxième semestre, elle s’est rapprochée des 2 Scènes (scène nationale de Besançon) afin d’être mise en contact avec des professionnels. C’est ainsi que la metteuse en scène Mélanie Manuelian a rejoint leur aventure théâtrale. En janvier, ils sont une poignée d’étudiants à poursuivre leur participation : Erika-Laura Figard, étudiante en 1re de géographie, Quentin Arnoud et Élise Schmitt, tous deux en 2e année de lettre modernes, et Marion Denis, en 3e année d’arts du spectacle, qui est la seule à ne jamais avoir fait d’italien.
Dans la peau d'un mafieux
Ne parlant pas non plus cette langue, Mélanie Manuelian s’est appuyée sur la version française du texte pour imaginer la mise en scène. Unique personnage de cette pièce, Antonino Calderone est chez lui, attablé à son bureau pour enregistrer ses confessions à l’aide d’un magnétophone. Cet homme a fait partie de la mafia sicilienne pendant plus de 20 ans. Au début des années 1980, son frère est assassiné par un rival. Antonino Calderone décide de quitter la mafia et part se cacher avec femme et enfants à Nice. Il est arrêté par la police en 1986. En prison, se sentant menacé, il demande à parler au juge Falcone, figure de la lutte antimafia en Italie. Cette rencontre lui est accordée l’année suivante. Durant près d’un an, il se confiera au juge, ce qui permettra à ce dernier d’arrêter un grand nombre de suspects, avant d’être assassiné par la mafia en 1992. Antonino Calderone décèdera en 2013.
Après avoir raccourci le texte, Mélanie Manuelian a distribué les rôles. « On devait incarner chacun une facette d’Antonino Calderone. Elle nous a attribué des passages qui permettaient d’associer nos personnalités à ce personnage atypique », raconte Élise Schmitt. Les étudiants ont autant travaillé sur la langue que sur le jeu. « La majeure partie de la pièce était en italien, mais comme Marion n’en avait jamais fait, on a décidé d’intégrer du texte en français pour les moments où Antonino Calderone parle de ses années passées en France, poursuit l’étudiante. Quentin et moi avons beaucoup étudié la traduction dans nos études de lettres modernes, donc c’était intéressant pour nous de voir les différences entre le texte d’origine et la version française. Ça met en lumière toute la richesse de ces deux langues. Et ça montre l’importance de bien comprendre le contexte. On a beaucoup de préjugés sur la mafia. On voulait montrer l’homme avant le mafieux. En incarnant ce personnage, on s’y attache forcément. Il a certes du sang sur les mains mais le texte montre son humanité. »
L'épreuve de la scène
Teresa Solis a porté une attention particulière à la prononciation de l’italien. Pour que les étudiants puissent s’entraîner chacun de leur côté, elle s’était enregistrée en lisant le texte. Incarner ce personnage complexe n’a pas été sans difficulté, surtout pour les trois étudiantes. « Il fallait qu’on efface notre part de féminité, dans notre démarche, nos gestes. Par exemple, on m’a dit d’enlever la douceur de ma prononciation, d’apprendre à marcher comme Antonino le ferait », indique Élise Schmitt. Cheveux plaqués, chemise, pantalon large… les quatre jeunes comédiens ont adopté un look identique. Côté décor, la metteuse en scène a opté pour la simplicité afin de créer une intimité. « Mélanie a su trouver des astuces intéressantes pour dynamiser la pièce, comme des projections d’images et la présence sur scène d’une musicienne pour l’ambiance sonore », relève Teresa Solis.
La petite troupe a présenté le fruit de son travail en avril en ouverture du Festival de la Bouloie, puis fin mai au Festival universitaire de théâtre du canton de Neuchâtel. Les répliques en italien étaient surtitrées en français et inversement. « Nous avons eu de bons retours de nos familles, de nos amis et du département d’italien. Et on a eu un super accueil en Suisse, on nous a posé plein de questions, s’enthousiasme Élise Schmitt. Ce projet nous a tous beaucoup apporté et nous n’avions pas la pression d’avoir une note à la fin. Pour moi, ça a été une façon de concrétiser deux passions : le théâtre, que je pratique au conservatoire, et l’italien car j’adore cette langue. » Si les représentations sont maintenant terminées, Élise ne quitte pas tout à fait l’univers de la pièce : « Je vais passer ma troisième année de licence en Erasmus à Catane, la ville où se déroule l’histoire ! »
- Je m’appelle Antonino Calderone, traduction de Maryline Maigron, enseignante-chercheuse à l’université Savoie-Mont-Blanc.
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Teresa Solis
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