Une jeune femme qui regarde dans un microscope.
Ludovic Godard
Auteur 
Delphine Gosset

« L'archétype du cancer évitable »

C’est le point de vue des chercheurs hospitaliers et universitaires bisontins qui travaillent depuis plus de 40 ans sur les virus responsables du cancer du col de l’utérus. Grâce à leur expertise, le Centre de référence national sur les papillomavirus humains est maintenant affilié au CHRU de Besançon.

Il existe environ 200 types de papillomavirus. Ces virus infectent toutes les espèces animales, mais certains sont propres à l’homme. Les papillomavirus humains (HPV) cutanés sont responsables des verrues sur la paume des mains ou sur la plante des pieds. D’autres infectent les muqueuses de la sphère ORL et anogénitale. Ils se transmettent par contact, notamment lors de rapports sexuels, et sont extrêmement contagieux : au moins huit personnes sur dix sont ou ont été contaminées au cours de leur vie. Heureusement, ces virus sont la plupart du temps éliminés spontanément par le système immunitaire. Quand ils persistent, ils peuvent être à l’origine de lésions, d’abord bénignes, mais susceptibles d’évoluer en cancer au bout d’une dizaine d’années. Quinze types de HPV peuvent être à l’origine de cancers du col de l’utérus, mais aussi de la vulve, du pénis, de l’anus, des amygdales et de la gorge.

Jusque dans les années 1950, le cancer du col de l’utérus était la première cause de mortalité chez les femmes jeunes dans le monde. C’est l’examen au microscope de cellules prélevées sur le col (frottis) qui a permis de mettre en évidence l’existence de lésions précancéreuses et d’agir avant qu’il ne soit trop tard. La mise en place d’un dépistage systématique a fait chuter de manière spectaculaire l’incidence de la maladie. Cependant, la technique du frottis n’est pas complètement fiable : dans près de 15% des cas, elle passe à côté de lésions suspectes. « Cela dépend de la zone de prélèvement et de l’œil de celui qui examine les cellules. Au final, l’analyse cytologique produit un nombre non négligeable de faux négatifs. On rassure les femmes à tord », déplore Didier Riethmuller, gynécologue et responsable du pôle mère-femme au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Besançon.

Des tests permettent pourtant de détecter le virus sur les muqueuses de manière fiable. Ils sont très peu prescrits en France, tandis qu’un certain nombre de pays européens (Angleterre, Hollande, Italie, Espagne, Allemagne, selon les régions) les utilisent de manière systématique et ne font intervenir le frottis que dans un second temps, pour rechercher des lésions quand la présence du HPV est avérée.

Depuis 2006, il existe deux vaccins qui protègent contre les HPV et notamment les souches HPV16 et HPV18. « Ce sont celles qui sont responsables des trois quarts des cas de cancers du col de l’utérus. Un nouveau vaccin efficace sur neuf souches1 sera bientôt sur le marché. Il permettra de couvrir plus de 90% des cas », explique Jean-Luc Prétet, directeur du laboratoire Carcinogenèse associée aux HPV (EA 3181) de l’université de Franche-Comté. En France, la vaccination est préconisée chez les jeunes filles de 11 à 14 ans. Cependant, à peine 15 % sont vaccinées contre 70 % à 90 % en Angleterre, en Suède, au Danemark, au Portugal, en Espagne et en Italie.

3 000 nouveaux cas par an

Une situation que déplorent les chercheurs et médecins bisontins. « Bientôt nos confrères étrangers viendront étudier le cancer du col de l’utérus chez nous parce qu’il n’y en aura plus chez eux ! Chaque année, plus de 3 000 nouveaux cas sont diagnostiqués, alors que c’est l'archétype du cancer évitable : on sait qu’il est toujours induit par un virus, on est capables de détecter ce virus, et on dispose d’un vaccin », s’insurge Didier Riethmuller.

Les équipes hospitalo-universitaires bisontines s’intéressent depuis plus de quarante ans à ces HPV. Elles ont participé à toute l’aventure scientifique, depuis la découverte de l’implication du virus dans les lésions précancéreuses jusqu’aux tests de validation des vaccins en passant par les démarches qui ont permis d’inscrire les tests virologiques dans les actes remboursés par la sécurité sociale.

En 1970, l’équipe des dermatologues Pierre Agache et René Laurent met en évidence les anomalies cellulaires liées à l’infection virale et identifie quatre souches de HPV. Dans les années 1990, grâce à des techniques de biologie moléculaires rapportées des États-Unis, Christiane Mougin parvient à détecter l’ADN de ces virus dans des lésions anogénitales. Ces travaux permettent la mise au point des tests de dépistage virologique. « Jean-Patrick Schaal, alors responsable du service de gynécologie obstétrique, a instauré ce dépistage de manière systématique à Besançon, ce qui était très original à l’époque. C’était un visionnaire », déclare-t-elle. En 1996, elle crée une équipe de recherche sur les HPV où biologistes et cliniciens sont rejoints par des épidémiologistes. Cette équipe correspond à l’actuel laboratoire EA 3181 de l’UFC qui mène de nombreux travaux de recherche sur ce virus et ses interactions avec le système immunitaire, en collaboration avec le CHRU, le registre des tumeurs du Doubs et du territoire de Belfort et le Cancéropole Grand-Est2.

C’est grâce à cette expérience que le laboratoire de biologie cellulaire et moléculaire du CHRU de Besançon a été désigné par le ministère de la Santé3 comme le Centre de référence national (CNR) sur les papillomavirus humains4. Les missions de ce CNR consistent à fournir une expertise microbiologique pour la détection et la caractérisation des différents virus, ainsi que pour la mise au point de tests diagnostiques. Il se chargera également de surveiller la contamination dans la population. « C’est quelque chose que nous faisons déjà : nous connaissons la répartition géographique du virus et l’implication de chaque souche dans les lésions cancéreuses et précancéreuses » explique Jean-Luc Prétet, directeur du CNR. Cet organisme se devra aussi d’alerter les autorités publiques en cas d’émergence d’un risque particulier et d’offrir du conseil et de la formation aux personnels médicaux et paramédicaux. Une reconnaissance qui donnera peut-être davantage de poids aux arguments de Jean-Luc Prétet, Christiane Mougin, Didier Riethmuller et leurs équipes en faveur du dépistage virologique et de la vaccination.

  1. Parmi ces souches deux sont à l’origine de la maladie sexuellement transmissible connue sous le nom de « crêtes de coq » (condylomes acuminés).
  2. Ces activités de recherche sont financées par l’université de Franche-Comté, la Région Bourgogne-Franche-Comté, la Conférence de coordination interrégionale du Grand-Est Bourgogne Franche-Comté (CCIRGE-BFC) de la Ligue contre le cancer et le Cancéropôle Grand-Est, entre autres.
  3. Nomination par arrêté ministériel du 7 mars 2017 sur proposition de Santé publique France.
  4. Le laboratoire universitaire Carcinogénèse liée aux HPV (EA3181) et le laboratoire de biologie cellulaire et moléculaire de l'hôpital travaillent ensemble. Certains personnels sont affiliés aux deux structures.

Contact

Jean-Luc Prétet
responsable du CNR HPV et directeur du laboratoire Carcinogenèse liée aux HPV : facteurs prédictifs et pronostiques

jean_luc.pretet@univ-fcomte.fr

Christiane Mougin
responsable du laboratoire de biologie cellulaire et moléculaire du CHRU
christiane.mougin@univ-fcomte.fr

Didier Riethmuller
responsable du pôle mère-femme au CHRU de Besançon

didier.riethmuller@univ-fcomte.fr

Centre hospitalier régional universitaire de Besançon
https://www.chu-besancon.fr

Une série de pipettes remplies d'un liquide violet.
Un homme devant un écran d'ordinateur avec des courbes.
L'équipe du CNR Papillomavirus
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