Liesle : un village plein d’initiatives
Les initiatives dites « citoyennes » ne fleurissent pas seulement en milieu urbain. C’est ce qu’ont montré le sociologue Bruno Laffort et ses étudiants de licence en menant une enquête de terrain dans le village de Liesle et le canton de Quingey.
« Même si on observe une certaine désaffection pour les formes de militantisme politique ou syndical traditionnelles, la démocratie continue de fonctionner différemment, affirme Bruno Laffort, chercheur en sociologie au C3S1 et enseignant à l’UFR SLHS. Certaines personnes choisissent de s’engager au quotidien à travers de petites actions qui peuvent être de nature très diverses : consommer autrement, opter pour les énergies renouvelables, développer des actions culturelles ou associatives, ou encore essayer de soutenir les derniers commerçants de leur village... ».
B. Laffort a choisi de faire travailler ses étudiants de deuxième année de licence de sociologie sur les initiatives citoyennes nées à Liesle, petit village de 500 habitants dans le Doubs, et dans le canton de Quingey voisin. L’objectif de cette enquête : inventorier les actions menées en faveur d’une société moins dispendieuse et plus conviviale en sondant les motivations des individus. « D’autres villages de Franche-Comté sont sans doute aussi intéressants, mais celui de Liesle regroupe nombre de personnes volontaires et autant d’initiatives originales », explique-t-il.
Cet enseignant juge l’expérience du terrain indispensable à la formation de ses étudiants : « J’attends d’eux qu’ils soient capables de mettre en place une enquête sociologique, et ce, du début à la fin : prospection, récolte des données, entretiens et observations, jusqu’à la production d’un dossier dactylographié où ils exposent leurs conclusions. Je joue pour ma part un rôle de facilitateur dans leur démarche en leur fournissant des apports théoriques et en les mettant en contact avec leurs principaux interlocuteurs. » La trentaine d’étudiants s’est ainsi répartie en petits groupes pour travailler sur différents thèmes et mener des entretiens auprès des habitants, des commerçants, des membres d’associations et des élus.
Consommer autrement
Certains étudiants ont rencontré deux membres de la commission « consommation citoyenne » de l’association TRI1 ainsi que deux familles de Liesle inscrites à l’AMAP3 de Quingey. En privilégiant les circuits dits « courts » pour limiter autant que possible les intermédiaires entre le producteur et le consommateur, ces personnes cherchent à donner du sens à leurs achats, même si toutes avouent ne pas parvenir à se passer totalement des grandes surfaces. Plusieurs d’entres-elles cherchaient au départ à obtenir des produits de qualité, mais leurs motivations se sont ensuite étendues à une logique de solidarité, avec les agriculteurs notamment. D’ailleurs, différentes actions de sensibilisation sont menées à Liesle : à l’école avec les enfants, mais aussi auprès d’un public adulte.
L’enquête a également porté sur les habitants du village qui cherchent à diminuer leur dépendance aux énergies fossiles et à sortir du nucléaire. Parmi eux : le propriétaire d’une ancienne ferme transformée en gîte, atelier et maisons d’habitation, qui a installé environ 200 m2 de panneaux photovoltaïques sur sa toiture. Une décision naturelle pour cet homme originaire d’Allemagne qui cherche d’ailleurs à convaincre d’autres habitants de suivre sa démarche, avec assez peu de succès pour le moment.
Les étudiants se sont intéressés aux débats difficiles qui se tiennent autour d’un projet d’implantation de six éoliennes à proximité de Quingey. Ainsi, si un collectif de près de 300 personnes4 se mobilise pour une réappropriation par les citoyens et les collectivités locales de la gestion de l’une de ces éoliennes (gestion initialement dévolue à un fonds de pension privé), une autre association farouchement opposée à ce projet5 dénonce les nuisances liées aux travaux et des risques concernant la faune locale.
Habiter autrement
À Liesle, la municipalité a voulu également mettre en place un petit éco-quartier pour accueillir davantage d’habitants et garantir ainsi le maintien de services publics comme l’école et la desserte du village par le TER. Les élus rencontrés ont évoqué les difficultés rencontrées lors de l’élaboration de ce projet, les petites communes n’étant pas beaucoup aidées par l’État. L’éco-quartier apparaît ainsi, du point de vue des étudiants, comme une semi-réussite dans la mesure où des parcelles restent invendues et où la construction n’a pas été gérée de manière globale. Les entretiens menés auprès des habitants ont montré qu’ils étaient initialement motivés par l’accès à la propriété, plutôt que par l’aspect strictement « écologique » du quartier, même s’ils ont été ensuite séduits par les économies substantielles réalisées en matière de chauffage. Malgré des travaux encore inachevés, un esprit convivial se développe dans le lotissement et les voisins se rendent de petits services.
Bruno Laffort a également souhaité que les étudiants s’intéressent aux commerces de proximité, qui permettent d’entretenir du lien social et de maintenir une certaine qualité de vie. Le village compte d’ailleurs sur les bords de la Loue l’un des rares moulins à farine encore en activité. Les gérants de la petite épicerie de Liesle sont des anciens de la grande distribution qui se disent heureux de connaître la plupart des habitants et s’efforcent de proposer une certaine quantité de produits locaux. Il existe aussi un bar-brasserie qui propose des repas ouvriers le midi et organise des évènements conviviaux à parti du printemps, comme des tournois de pétanque qui dépassent le seul cadre du village. Dans le même état d’esprit, la coiffeuse organise régulièrement des animations (concerts, défilés).
Vivre autrement
La culture et la convivialité ont également été pris en compte dans cette enquête avec l’interview de deux femmes qui pratiquent un art « brut », accessible à tous, en travaillant à partir de matériaux de récupération. Dans leur démarche transparaît également le besoin de ne plus suivre le rythme intensif imposé par la société actuelle. Les étudiants ont aussi rencontré des bénévoles cherchant à dynamiser la vie de la commune en animant un club lecture au sein de la bibliothèque municipale ou encore en s’investissant dans les temps périscolaires.
« Beaucoup de sociologues se focalisent sur les milieux urbains, mais les campagnes aussi peuvent être des pépinières d’idées, conclut Bruno Laffort. Ce qui apparaît intéressant ici c’est la construction d’une sorte de cercle vertueux : habitants motivés, commerçants passionnés et élus facilitateurs. Il serait intéressant de savoir quelle proportion de la population totale s’engage dans de telles initiatives, pour évaluer un éventuel " effet de seuil " et mesurer l’impact réel de toutes ces actions qui permettent de nous proposer, par petites touches, la vision d’un autre modèle de société. »
- Culture, sport, santé, société
- L’association TRI est une structure créée au départ autour du recyclage ; elle s’est fortement diversifiée au point de constituer une structure de référence dans la région en matière d’économie sociale et solidaire, mais aussi comme acteur autour des débats de société actuels.
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- EMNE : « Ensemble, mobilisons nos énergies »
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