Ça chauffe dans l’Arc jurassien
Environ 1 °C, c'est l'amplitude des variations de températures au cours des 12 000 dernières années. Le climat actuel affiche + 0,8 °C, une valeur atteinte en à peine un siècle et demi. Neuf années sur les dix réputées les plus chaudes des deux derniers siècles sont postérieures à l'an 2000. Plus encore que son ampleur, c'est la rapidité à laquelle se produit le phénomène qui inquiète les chercheurs…
S’il affiche une moyenne générale de + 0,8 °C sur la planète depuis 1880, le réchauffement ne sévit pas partout de la même manière. Dans l’hémisphère nord, il est plus marqué dans le Nord que dans le Sud ; et dans les zones océaniques, une partie de l’énergie thermique est absorbée par l’immense volume d’eau de l’océan, jusqu’à trois kilomètres en profondeur. Ces deux raisons expliquent que dans les régions continentales telles que l’Arc jurassien franco-suisse, le réchauffement est plus marqué : + 1,5 °C, presque un doublement de la valeur moyenne, qui se vérifie aussi bien sur les trente dernières années que sur l’ensemble du siècle passé.
Climatologue à l’institut de géographie de l’université de Neuchâtel, titulaire de la chaire conjointe avec l’Institut fédéral de recherches WSL sur la forêt, la neige et le paysage, Martine Rebetez met en rapport les chiffres et les tendances. « La température moyenne du globe sur l’ensemble de l’année est aujourd’hui de 16 °C. L’augmentation de 0,8 °C a pour point de départ le tournant du XXe siècle. Le recul des glaciers, les transformations de la végétation et la montée des océans comptent parmi les preuves les plus visibles du réchauffement. » La référence de + 2 °C retenue par la COP21 semble utopique. Comme d’autres spécialistes, Martine Rebetez estime que + 4 °C est une valeur plus réaliste à attendre du réchauffement : la machine est lancée, il faudrait prendre des mesures draconiennes sur l’ensemble de la planète pour la ralentir suffisamment, et vite. Car au-delà du phénomène lui-même, Martine Rebetez insiste sur la rapidité avec laquelle s’opère ce changement : un siècle a suffi pour voir la surface de la planète nettement transformée.
Chercheur CNRS au laboratoire Chrono-environnement de l’université de Franche-Comté, Michel Magny est paléoclimatologue et partage cet avis. Ses travaux de mesure du niveau des lacs en Franche-Comté ont permis de reconstituer l’histoire du climat sur des milliers d’années, non seulement dans la région, mais aussi en Europe occidentale et méditerrannéenne. Il précise la notion de climat. « Si la météo rend compte d’événements ponctuels, le climat, lui, représente la moyenne des événements météorologiques se produisant à un même endroit pendant trente ans. »
Retour éclair à l’optimum climatique
Depuis un million d’années, le climat de la Terre suit des cycles de 100 000 ans, alternant glaciations et périodes interglaciaires, qui, beaucoup plus clémentes, durent 10 000 à 20 000 ans. Ces phases correspondent aux variations de l’orbite de la Terre autour du Soleil. À l’intérieur de ces grands cycles, on observe des oscillations du climat, dues à des variations de l’intensité du Soleil, que renforcent les altérations de l’activité volcanique et de la circulation océanique.
Notre climat s’inscrit dans une période interglaciaire appelée Holocène, démarrée voilà 11 700 ans. Selon un schéma classique, les températures ont suivi une courbe ascendante jusqu’à atteindre un optimum climatique, aux environs de 5 000 ans avant J.-C. Depuis, la courbe de température suit un refroidissement progressif, ponctuée d’oscillations dont les variations de l’activité solaire… et désormais les activités humaines, sont responsables.
Michel Magny replace la situation actuelle à l’échelle de l’Holocène. Loin de noyer le siècle passé et les bouleversements qui l’accompagnent dans 20 000 ans d’histoire, la comparaison ne fait que mettre en valeur l’anomalie qu’elle représente, qui nous ramène presque aux valeurs de température de l’optimum climatique. L’homme est entré dans le circuit climatique, son impact devient plus prégnant que l’influence des planètes…
C’est pourquoi Paul Crutzen, Prix Nobel de chimie, a baptisé « Anthropocène » la période que nous vivons depuis 1750, caractérisée par les débuts de la machine à vapeur, l’emballement de la révolution industrielle au XIXe siècle, et une « grande accélération » depuis les années 1950, correspondant à l’avènement de la société de consommation dans les pays occidentaux, des modèles économiques axés sur la croissance, et l’aspiration de toute la planète à accéder au développement.
« L’Anthropocène, nouvelle ère géologique, est non seulement marqué par l’impact de l’activité humaine sur le climat, avec les gaz à effet de serre pour premier responsable, mais aussi sur l’environnement, le fonctionnement des écosystèmes se voyant perturbé comme jamais », explique Michel Magny.
Article extrait du dossier « + 2 °C ? » paru dans le numéro 261 de novembre-décembre 2015 du journal en direct.