Lumière et matière : interactions à l’échelle de l’infiniment petit
En 1670, Newton démontre que la lumière émise par le Soleil ou par une bougie, la lumière blanche, est en réalité le résultat d’un mélange de couleurs. La spectroscopie affine au fil des années cette nouvelle donne révolutionnaire : elle associe longueur d’onde et fréquence pour caractériser la lumière de l’ultraviolet à l’infrarouge, qui, insoupçonnables pour l’œil humain, encadrent les sept couleurs constituant le spectre de la lumière visible. Depuis l’invention du laser en 1960, disséquer la lumière, la confiner et la faire agir avec la matière intéressent toujours plus les scientifiques. Sur le chemin de l’infiniment petit, les chercheurs de l’institut FEMTO-ST ont choisi de placer la barre en dessous du micron (μm) : c’est à cette échelle qu’ils découvrent la lumière… sous un nouveau jour.
Les champs magnétique et électrique, qui tous deux composent la lumière, se superposent spatialement. Ce principe se vérifie jusqu’à l’échelle du micron. En dessous de cette limite, les champs se dissocient et ne portent plus la même information.
Pour comprendre le comportement de la lumière à l’échelle nanométrique, Thierry Grosjean a cherché à cartographier optiquement les deux champs à la surface d’objets plus petits que le micron (à l’échelle dite « sublongueur d’onde »). Il y parvient en 2010, grâce à une nouvelle génération de sondes nanométriques optiques qu’il a conçues. Aujourd’hui, cette avancée autorise à rechercher des voies inédites dans la connaissance des comportements de la lumière. L’utilisation de la fluorescence, un phénomène incontournable de la physique, est à la base de différents travaux menés par Thierry Grosjean.
« La fluorescence des molécules est induite soit par le champ électrique de la lumière, soit par son champ magnétique. C’est ce second processus, beaucoup moins connu, que nous avons choisi d’explorer. Il permet de mieux comprendre les interactions entre la lumière et la matière, et ouvre de nouvelles perspectives pour la création de sources lumineuses inédites plus performantes. Il représente un nouveau pan d’investigation de la physique. »
Les chercheurs de l'institut sont ainsi les premiers à avoir mis au point une nano-antenne optique capable de confiner sélectivement la partie magnétique de la lumière en un point précis, une surface de quelques dizaines de nm, et de multiplier son intensité à cet endroit par 10 000. Ces travaux ont été publiés dans la revue Nano Letters. « Les nano-antennes représentent un vecteur puissant pour amplifier les possibilités offertes par le champ magnétique de la lumière, jusque-là réputées faibles. » Le processus concerne l’activation de la fluorescence de certaines molécules seulement, mais pas des moindres. C’est par exemple le cas des terres rares utilisées dans les LEDS, qui pourraient voir leur rendement ainsi décuplé, ouvrant la voie vers des sources lumineuses plus brillantes, plus rapides et moins énergivores.
Jean-Charles Beugnot et Thibaut Sylvestre s’intéressent eux aussi de près à l’évolution conjointe des comportements de la lumière et du milieu dans lequel elle se propage. Leur terrain d’expérience ? Une microfibre optique au diamètre cinquante fois inférieur à celui d’un cheveu… soit 1 μm. L’envoi d’un faisceau laser dans ces minuscules mèches de fibre provoque une déformation de la matière. « La lumière fait vibrer de manière infime le matériau, générant à sa surface une onde acoustique qui se propage à la vitesse de 3 400 m/s. En retour, l’onde module le diamètre de la microfibre, et par là même son indice de réfraction, ce qui a pour effet de renvoyer la lumière en sens inverse avec un décalage de fréquence associé à l’effet Doppler », explique le chercheur.
Ce phénomène n’est possible qu’à cet infime diamètre sublongueur d’onde de la microfibre optique. Dans une fibre optique standard, traditionnellement utilisée dans les télécommunications, la lumière est confinée dans le cœur du matériau et ne génère pas d’onde de surface.
C’est la première fois que des scientifiques observent ce nouveau mode de diffusion de la lumière à cette échelle, et sont capables d’en assurer la maîtrise. La fabrication des microfibres optiques est elle-même une prouesse technologique. Elle est l’œuvre des chercheurs du laboratoire Charles Fabry (Institut d’optique Graduate School / CNRS), qui ont réussi à étirer des fibres optiques en les chauffant, passant de 125 μm à 1 μm de diamètre.
La suite de l’expérience se déroule à l’institut FEMTO-ST avec un succès remarquable. Au-delà de son intérêt scientifique, la découverte de ce nouveau mode de diffusion de la lumière serait utile à la fabrication de capteurs micrométriques ultrasensibles, les ondes générées à la surface de la fibre étant réceptives à la température, la pression ou le gaz ambiants. Ces travaux ont récemment été publiés dans la revue Nature Communications.
Article paru dans le journal en direct no 256 de janvier-février 2015.
Contact
Institut FEMTO-ST
Département d’optique
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Thierry Grosjean
thierry.grosjean@univ-fcomte.fr
Thibaut Sylvestre
thibaut.sylvestre@univ-fcomte.fr