Recherches au long cours pour la Loue
On s’en souvient, les épisodes de mortalité piscicole dans les eaux de la Loue avaient défrayé la chronique au tout début de la décennie. Un sujet de préoccupation pour les autorités gestionnaires du territoire comme pour les scientifiques, qui depuis longtemps s’intéressent à la qualité des eaux comtoises.
Les travaux d’une équipe de chercheurs, emmenée par Pierre-Marie Badot et François Degiorgi au laboratoire Chrono-environnement de l’université de Franche-Comté, complètent depuis plus de deux ans les études déjà réalisées. Commandité par l’Agence de l’eau, la Région Franche-Comté et le Conseil général du Doubs, le programme est ambitieux et prévoit le diagnostic de la rivière et de son bassin versant, l’identification des mécanismes en cause, et l’élaboration de recommandations. Il appelle l’expertise conjointe d’hydrobiologistes, d’écotoxicologues, de pédologues, de chimistes et d’hydrogéologues représentant un large spectre des spécialités de Chrono-environnement.
L’inventaire des peuplements de poissons est effectué par des campagnes de pêche électrique en partenariat avec l’ONEMA et les fédérations de pêche. De la source de la Loue jusqu’à Quingey, tronçon le plus propice à l’analyse, dix stations font l’objet d’investigations qui, sur un ou deux cycles annuels, permettent d’évaluer de manière objective l’état actuel de la rivière et de le comparer aux informations recueillies depuis les années 1970. Les travaux récents portent sur le phytobenthos (algues se développant sur les fonds) et sur le macrobenthos (ensemble d’invertébrés de taille millimétrique à centimétrique vivant au contact du fond). Ces indicateurs témoignent tous d’une dégradation lente mais continue de la qualité de la rivière. Les études se focalisent simultanément sur l’état physicochimique de l’eau, des sédiments et des matières en suspension (MES). Le fonctionnement karstique du bassin versant de la Loue le rend particulièrement vulnérable aux transferts de nutriments, azote et phosphore, et de micropolluants vers le cours d’eau.
Analyser les matières en suspension
« En général, les analyses chimiques sont conduites à partir d’eau filtrée ; de très nombreux polluants, insolubles dans l’eau, fixés sur les MES restés dans le filtrat, ne peuvent pas être détectés », explique Pierre-Marie Badot. Le laboratoire a développé une méthodologie spécifique pour l’échantillonnage et l’analyse de ces MES. Le prélèvement s’effectue directement dans la rivière : des pièges à particules emprisonnent les matières en suspension en quantité suffisante pour permettre l’isolement des substances polluantes, puis leur analyse. Cette approche montre que les MES constituent un important vecteur de pollution qui contribue à certains des dysfonctionnements biologiques observés.
Les causes de la dégradation de la qualité de la rivière sont vraisemblablement multiples. Les épisodes de mortalité des poissons ne sont visiblement qu’une conséquence spectaculaire d’altérations profondes et anciennes de l’écosystème aquatique. « Les rivières ont une capacité épuratoire naturelle que la Loue semble avoir perdue au fil des années », regrette Pierre-Marie Badot. Que faire ? Le programme d’études et de recherche prévoit de coconstruire des solutions avec les parties prenantes afin de fournir les outils d’aide à la décision attendus par les autorités gestionnaires : les scientifiques ont des propositions à faire, arguments à l’appui.
Article publié dans le numéro 254 du journal en Direct de Septembre 2014