Portrait de Guillaume Jehannin
Georges Pannetton - UFC

Laïcité : questions éducatives, questions sociales

Après l’intergénérationnel, les catégories populaires en lien avec le populisme et la démocratie participative, les Rencontres du social portent, pour l’année 2015-2016, sur la laïcité. Entretien avec Guillaume Jehannin, enseignant en sciences économiques et sociales au département Carrières sociales de l’IUT de Belfort-Montbéliard, et administrateur de Trajectoires ressources1.

Comment se déroulent les quatre Rencontres du social 2015-2016 sur la laïcité ?

La première visait à comprendre les enjeux philosophiques de la laïcité, tandis que la deuxième était plus ludique. Elle était aussi davantage adaptée au cadre d’intervention des étudiants en DUT Carrières sociales qui utiliseront parfois les arts pour faire passer des messages, d’où le spectacle « Laïcité = liberté » sur les grandes figures historiques de la laïcité, qui était suivi d’un débat. La troisième rencontre concernera la laïcité française vue de l’étranger et la laïcité à l’étranger, et la dernière s'intéressera au regard des religions elles-mêmes sur la laïcité : ce sera l’occasion de montrer qu’il s’agit d’un concept intégré par les trois grandes religions pratiquées en France – le christianisme, le judaïsme et l’islam.

Qu’est-ce qui détermine le choix du thème ? Est-ce que le thème de la laïcité est en lien avec les attentats de janvier 2015 ?

En général, la thématique est choisie en fonction des préoccupations de notre secteur professionnel, l’animation, l’intervention sociale. Si cette année le thème retenu est la laïcité, ce n'est pas un hasard dans la mesure où ce sujet questionne depuis des années. Il n’est pas pour autant lié aux attentats, puisque nous l’avions programmé bien avant. Il s’agit d’un thème sur lequel je travaille depuis deux ans et demi avec Trajectoires ressources : on a mis en place un groupe de travail avec Dounia Bouzar, consultante aujourd’hui très connue et membre de l’Observatoire de la laïcité, sur le thème de la laïcité en général et la déradicalisation de certains musulmans. Notre groupe a d’ailleurs publié avec elle un ouvrage sur les postures professionnelles et la laïcité2 afin de déterminer, par des études de cas, comment agir selon les types de secteurs en fonction de la loi et de l’éthique d’intervention.

Est-ce le rôle d’un enseignant de poser ces questions ?

Oui, à double titre. D’abord parce qu’il s’agit d’une question que se posent les professionnels : nous formons des étudiants sur des problématiques en lien avec leurs futures professions. Ils sont d’ailleurs partie prenante car ils réalisent une enquête sur ce sujet auprès de différents publics. L’actualité rend le thème encore plus important : ils doivent réfléchir dans le cadre de leur secteur professionnel et en tant que citoyens. L'un des rôles des enseignants est d’aider les étudiants à décrypter le monde tel qu’il est.

En tant qu’enseignant, quels conseils donnez-vous aux étudiants ?

Je leur dis d’une part qu’il faut respecter la loi et que pour ça, il faut la connaître et en saisir la substance, et d’autre part qu’il faut la comprendre soi-même pour que public la comprenne à son tour. La laïcité n’est pas un principe négatif : la loi de 19053 est positive car elle permet l’expression des religions et ne les interdit pas, sauf quand cela perturbe le fonctionnement de services ou l’ordre public. Elle permet ainsi le respect des différences dans le cadre privé, tout en privilégiant ce qui rassemble dans l’espace public : être citoyen.

En quoi consiste le travail d’enquête des étudiants en DUT Carrières sociales ?

En deuxième année de DUT, dans le cadre de leurs cours de méthodes en sciences sociales, ils effectuent en petits groupes un travail d’enquête de terrain. Cette année, ils mènent cette enquête sur la question de la laïcité, auprès de professionnels tels que ceux avec lesquels ils seront amenés à travailler. Il y a une vingtaine de sujets, comme la question du voile dans les structures d’animation proposant des activités socio-sportives, la laïcité dans les hôpitaux, la laïcité du personnel dans les structures d’animation, etc. Les résultats seront restitués devant des professionnels en fin d’année universitaire.

Le thème étant délicat, les étudiants bénéficient-ils d'un accompagnement particulier ? Comment l’abordent-ils ?

Ils sont très intéressés. Le préalable au travail d’enquête est qu’ils se demandent s’ils se sentent capables de poser des questions sur ce sujet aux usagers comme aux professionnels. Si ce n’est pas le cas, ils doivent l’intégrer dans leur étude pour pouvoir l’adapter. Pour l’instant, ils organisent leur questionnement et la mise en place de leur outil. Ils administreront l’enquête de janvier à fin mars.

La laïcité étant bousculée, est-ce difficile d’affirmer qu’elle est un principe positif ?

La laïcité garantit la cohabitation des religions, une cohabitation permise par la loi républicaine. Dans le cadre de l’État, il y a une mise à distance des religions, mais dans la vie des gens, l’exercice de la religion est garanti. Nous devons faire comprendre aux étudiants qu’ils ne sont pas dans la même situation en tant que professionnels de la fonction publique qu’en tant que professionnels de structures privées… alors qu’ils restent les mêmes professionnels.

En quoi le milieu de l’enseignement supérieur est-il un cadre différent ?

La loi de 2004 découlant de la commission Stasi4 sur le port ostentatoire de signes religieux à l’école vise à imposer le respect de la laïcité à l’école. Elle a été rédigée à la suite d'affaires liées au port du voile. Jusque-là, c’était le chef d’établissement qui jugeait de la dimension prosélyte ou pas des comportements. Dans l’enseignement supérieur, cette loi ne s’applique pas car les étudiants sont majeurs : l’idée de prosélytisme n’apparaît pas puisqu’une personne majeure est considérée comme capable de réfléchir par elle-même. Il y a donc une tolérance vis-à-vis du port de signes religieux, sauf pour les personnels titulaires (enseignants et non-enseignants, NDLR) qui doivent appliquer le principe de neutralité en tant que fonctionnaires d’État. Les usagers ont le droit de porter des signes d’appartenance religieuse, mais ils doivent aussi respecter certaines règles pour des raisons de fonctionnement, par exemple pour les photos administratives, les examens…

Le plus souvent, quand on parle de laïcité, on parle de l'islam. Y a-t-il un lien spécifique ou est-ce une stigmatisation ?

Depuis les attentats de janvier et novembre 2015 en France, mais aussi dans plusieurs autres pays, la laïcité est un sujet abordé partout, par tous, souvent dans la précipitation et donc sans forcément avoir réfléchi posément au préalable. La question de la laïcité n’est pas récente en France, mais on est face à une situation nouvelle où l’islam, deuxième religion de France, essaie de trouver sa place. Depuis la loi de 1905, il y a eu un processus de sécularisation, d’adaptation des religions, cette loi découlant d’un processus de près de deux-cents ans. Les religions juive, protestante, catholique se sont adaptées mais ça n’a pas toujours été facile. Ce n’est pas parce qu’on parle de ce sujet qu’on est dans la stigmatisation. Il faut évidemment se méfier des utilisations de ce qui est dit, mais dire qu’aujourd’hui en France, l’islam s’adapte, et que s’adapter nécessite des efforts, c’est une réalité. Le philosophe Pierre Manent pose la question de ce dont l’islam pourrait bénéficier pour s’intégrer ; il s'interroge sur l'opportunité d'une modification de la loi de 1905, parce que la société a changé et que les citoyens demandent que leur bonheur individuel soit davantage pris en compte.

Se questionner aujourd'hui sur le rapport entre laïcité et stigmatisation, c’est oublier qu’il s’est passé la même chose en 1905 ?

C’était beaucoup plus violent, et c’est sans doute là que les gens ont perdu le sens historique : des lieux d’enseignement fermés de force, des salariés de l’État qui ne l’étaient plus du fait de la loi, l’armée expulsant des moines de leurs établissements… Les débats de l’époque étaient largement plus violents et on l’a oublié. Mais c’est normal qu’aujourd’hui cela fasse débat et que cela soit complexe : la société subit une crise politique qui se superpose à une crise économique, qui s'ajoute elle-même à une crise sociale, qui se superpose à de nouvelles questions religieuses : cet effet de cumul fait qu’il est difficile de débattre sereinement et clairement.

  1. Trajectoire ressources, entre de ressources politique de la ville Bourgogne Franche-Comté, est une association qui développe ses activités au sein de la Maison des métiers de la ville, Pôle universitaire des Portes du Jura à Montbéliard. Elle est un partenaire historique de l’IUT pour les Rencontres du social.
  2. Guide Laïcité et gestion du fait religieux dans les structures socio-éducatives à télécharger sur le site de Trajectoire ressources.
  3. Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État.
  4. Loi no 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

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IUT Belfort-Montbéliard

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