Des vampires à la médaille d’or de philologie
Florent Montaclair, enseignant à l’université de Franche-Comté, vient de remporter la prestigieuse médaille d’or de philologie pour ses recherches sur la littérature fantastique du XIXe siècle. Ce spécialiste de la critique littéraire s’est beaucoup intéressé au roman feuilleton, aux écrits de Jules Verne et aux vampires.
La médaille d’or de la Société internationale de philologie est l’équivalent littéraire de la médaille Fields en mathématiques : c’est la plus haute distinction dans ce domaine. Elle est délivrée tous les cinq ans à des grammairiens ou à des spécialistes de la critique littéraire. Le célèbre Umberto Ecco, par exemple, figure parmi les précédents récipiendaires. Le 30 novembre, c’est un enseignant de l’ESPE de Belfort et de l'UFR STGI : Florent Montaclair, auteur de nombreux ouvrages1, qui a été désigné pour recevoir cette prestigieuse récompense.
En matière de critique littéraire, il existe différentes manières d’aborder le texte : on peut s’intéresser à la façon dont la vie d’un auteur éclaire son œuvre. « Dans certains écrits de Victor Hugo, on sent l’impact du décès de sa fille », raconte Florent Montaclair. Le critique peut aussi analyser la façon dont chaque lecteur interprète le texte : « Quand Rabelais publie Pantagruel en 1540, l’œuvre est condamnée pour grossièreté. Vingt ans plus tard, après les guerres de religion, elle l’est à nouveau, mais cette fois pour irrévérence envers le clergé. Aujourd’hui, Rabelais est considéré comme le premier grand auteur humaniste. Le livre n’a pas changé : c’est le regard du lecteur qui a évolué. » Les textes peuvent aussi être analysés en regard des autres textes : « Le thème du naufrage, par exemple, très présent dans l’œuvre de Jules Verne, vient de ses lectures et en particulier de celle de Robinson Crusoé. » Le critique littéraire peut également s’inscrire dans une perspective historique. L’époque détermine en effet des codes esthétiques qui conditionnent la structure des textes : Molière, Corneille ou Racine écrivent des pièces en cinq actes et en alexandrins.
Littérature fantastique
Les recherches de Florent Montaclair se situent dans une dimension à la fois historique et structuraliste : il analyse la façon dont un auteur organise son texte pour lui donner du sens, tout en tenant compte de l’époque à laquelle l’œuvre a été produite. Ce spécialiste de la littérature du XIXe et du début du XXe siècle étudie un genre alors en plein essor : le fantastique. «C’est l’époque où beaucoup d’auteurs : Prosper Mérimée, Théophile Gautier, Alexandre Dumas, Charles Nodier… à l’exception de Victor Hugo, se lancent dans des textes fantastiques. Musset crée une revue fantastique. George Sand écrit un essai fantastique. Berlioz compose la Symphonie fantastique, on traduit Hoffmann en français… »
Florent Montaclair s’est intéressé au roman-feuilleton, un mode de publication périodique qui s’est développé à partir de 1830. « C’est le moment où les écrivains sont devenus riches », plaisante-t-il. Effectivement, la publication dans des journaux imprimés à 100 000 exemplaires garantissait davantage de revenus que les livres qui, à l’époque, représentaient de faibles tirages. De nombreux auteurs : Jules Verne, Victor Hugo, Zola ou encore Dumas se sont essayés à ces textes de fiction à suivre avec plus ou moins de succès. Le principe du feuilleton impose cependant ses contraintes au récit : chaque épisode doit avoir la même taille et contenir des rebondissements qui maintiennent le lecteur en haleine. Des contraintes qui ne sont pas toujours faciles à concilier avec celles du récit fantastique. « L’auteur ne peut par exemple pas faire apparaître le vampire à chaque épisode, sous peine de lasser le lecteur, mais il ne peut pas non plus attendre la fin du roman… En ce sens, le Dracula de Bram Stoker, publié en 1887, est un véritable chef d’œuvre de narration : l’auteur croise les points de vue d’une dizaine de personnages différents dont chacun informe un peu plus le lecteur sur le mystérieux personnage… »
Vampires
Florent Montaclair a consacré plusieurs publications à la littérature vampirique2, un genre qui a connu une véritable déferlante dans les années 1820, à la suite de la publication de la première nouvelle littéraire sur ce thème par Byron en 18183. Le vampire du XIXe siècle n’a plus grand-chose en commun avec le mythe venu d’Europe centrale au XVIe siècle. Ce n’est plus un paysan qui subit le joug de l’invasion turque, c’est un personnage auquel on ne croit plus sérieusement et qui prend une dimension ludique. Il devient l’incarnation même du héros romantique : figure duale, ambivalente, à la fois morte et vivante, criminelle et aristocrate, entre ombre et lumière. « On retrouve cette même ambiguïté chez tous les héros du XIXe, explique Florent Montaclair : Jean Valjean est à la fois maire et pauvre, sans enfants et père de substitution, Montecristo est comte et bagnard, Hernani est duc et bandit… C’est une époque de grandes mutations culturelles où on éprouve un certain intérêt pour le méchant, comme aujourd’hui, d’ailleurs !» ajoute-t-il. Pour la suite de ses travaux, il envisage de travailler sur la « grammaire » du vampire : « Dans tous les films, on retrouve des images du vampire descendant un escalier monumental. Je cherche à voir s’il en va de même pour la forme des textes, s’il existe des schémas récurrents. »
Cette approche formaliste de la littérature a sans doute aidé ce critique littéraire à convaincre le jury de la société internationale de philologie, composé pour moitié de grammairiens. L’obtention de la médaille d’or n’était pourtant pas évidente pour un chercheur aux publications majoritairement francophones. « Le fait d’avoir travaillé sur un genre, le fantastique, dans lequel tous les pays du monde ont des références, ainsi que sur Jules Vernes, qui est l’auteur le plus lu au monde après Agatha Christie, a peut-être donné davantage de portée internationale à mes travaux », suppose Florent Montaclair, ravi de cette consécration.
- Il a publié 19 livres dont une dizaine d’actes de colloques.
- L'un de ces ouvrages est paru aux presses universitaires de Franche-Comté : (http:/voir la fiche descriptive de l'ouvrage sur le site des PUFC)
- Florent Montaclair a notamment réédité dans « Le vampire dans la littérature et au théâtre » trois versions du « Vampire », sous forme théâtrale, écrites respectivement par Charles Nodier et Eugène Scribe en 1820 et Alexandre Dumas en 1851.