Un engagement pour l’égalité
Porté par l’université de Franche-Comté et l’université de Genève, le projet interrégional laboratoire de l’égalité (PILE) marque la volonté commune des deux établissements de se mobiliser autour d'enjeux tels que la mixité dans les filières et les métiers, la lutte contre les discriminations ou encore l'égalité professionnelle. Entretien avec Rhyslane Kadmiri, responsable de ce projet à l'université de Franche-Comté, et Nicole Aballéa, spécialiste en management public et conférencière.
De quelles façons une université ou un organisme de recherche peuvent-ils agir en matière d’égalité femmes-hommes ?
Nicole Aballéa : Les organismes de recherche sont déjà sensibilisés à cette question car, pour eux, le manque de femmes est un réel problème. On manque par exemple de femmes professeurs d'université (20 % seulement en France1), manque de femmes qui vont au bout de leur thèse… Des missions pour la place des femmes ont été déployées dans plusieurs établissements de recherche, comme l’INRA ou le CNRS. En 2008-2009, le CNRS a commandé une étude sur la prise en compte du genre dans les carrières. Les résultats ont mis en évidence l’existence d’un modèle professionnel masculin dominant et unique. À la suite de cette étude, le CNRS a organisé un plan d’action à partir des quatre axes que promeut l’Union européenne en matière d’égalité : actions sur les dirigeants, actions sur la structure, actions sur la carrière, actions sur l’harmonisation de la vie professionnelle et personnelle. J’ai eu pour mission de mettre en œuvre le plan de formation à l'égalité professionnelle auprès des cadres supérieurs de l’institution. J’ai mené un travail de fond pour travailler sur du changement, avec des résultats actés. Les universités, quant à elles, se sont emparées du sujet plus tard.
De son côté, l’université de Franche-Comté a lancé la création de PILE il y a bientôt trois ans. Quelles en sont les missions ?
Rhyslane Kadmiri : PILE est né de la volonté des chargés de mission Égalité de l’université de Franche-Comté et de l’université de Genève de travailler sur un projet commun. Le projet bénéficie de fonds européens Interreg et a vu officiellement le jour à l’été 2015 pour prendre fin en décembre 2019. Il est composé de 27 actions réparties en trois grands axes : la sensibilisation à l’égalité, la mixité dans les filières et les métiers, et la sensibilisation aux stéréotypes de genre et à l’égalité professionnelle. Les objectifs sont de former à l’égalité dans le management public et privé, de promouvoir la place des femmes dans les filières réputées masculines, telles que les sciences dures et l’informatique, tout comme promouvoir la place des hommes dans les filières réputées féminines. PILE vise également à sensibiliser les entreprises et à développer la collaboration entre l’université et les établissements d’enseignement secondaires pour favoriser l’égalité et la mixité dans les filières puis les métiers. Les actions prévues dans le projet s’adressent à différents types de publics : enseignants-chercheurs, collégiens, lycéens, étudiants, dirigeants, personnels de l’université…
Vous venez d’animer deux ateliers de sensibilisation pour les personnels de l’université2. Quel était l’objectif de ces ateliers ?
Nicole Aballéa : Le but du premier atelier était de réfléchir à la façon dont on peut agir sur les inégalités dans la carrière des femmes. Ensuite, l’idée est que l’institution forme des groupes de travail pour que les personnels imaginent eux-mêmes des solutions, des moyens d’agir, et élaborent un plan d’action. Lors du second atelier, les participants se sont interrogés sur les manières d'éviter les comportements stéréotypés discriminants. L’enjeu était de décomposer les mécanismes dont on peut être conscient mais qu’on ne maîtrise pas. Ensuite, chacun cherche des solutions que l'on pourrait installer au quotidien pour éviter les situations de discrimination. À l'université de Genève où j'ai animé les mêmes ateliers, une solution proposée pour évacuer les stéréotypes et clichés vis-à-vis des nouveaux personnels étrangers était d'organiser un pot d'accueil lors de chaque nouvelle arrivée pour souhaiter la bienvenue à la personne, échanger sur sa culture et éviter que se mettent en place des comportements discriminants inconscients.
Rhyslane Kadmiri : Les problématiques femmes-hommes abordées lors des ateliers restent toutefois compliquées car ces sujets peuvent faire l’objet de positions militantes perçues comme agressives par certains hommes, ou même certaines femmes. Il faut vraiment enlever toute cette histoire de guerre des sexes pour partir sur de bonnes bases, car c’est d’équité et de bien-être qu’il s’agit. Une fois passé ces écueils, les participants nous disent que ces ateliers ont été bénéfiques. Certains m’ont même dit avoir été chamboulés. D'autres sont venus tout en étant sceptiques : ils craignaient que tout ça ne soit que de la poudre aux yeux, mais à la fin, ils m'ont confié qu’ils étaient contents « d’avoir appris plein de choses » et qu’on était « dans du concret ». Étant formatrice de métier, je crois beaucoup à la transmission, au bénéfice de l’échange et du temps de parole pour chacun et chacune. Je pense que ces ateliers de formation et de réflexion sont une bonne formule. J’aimerais qu’il y ait une suite à ces ateliers et que des actions concrètes soient mises en place par le biais d’un groupe de travail, que des collègues s’approprient la thématique et que l’on continue d’avancer.
PILE ne concerne pas seulement le milieu de l’enseignement supérieur et de la recherche. Vous menez également des actions à destination des écoles, collèges et lycées…
Rhyslane Kadmiri : On est tous d’accord sur le fait qu’il faut s'emparer du problème des inégalités filles-garçons tôt, dès l’école, pour faire un travail de déconstruction des stéréotypes, en faisant le lien université-lycée-collège-école. En décembre, nous avons accueillis des collégiens et lycéens à l’UFR Sciences et techniques pour un colloque « Femmes et sciences », pendant lequel les élèves ont participé à des ateliers sur l’orientation et la formation à l’égalité. Cette manifestation a permis de valoriser la collaboration entre l’université et les établissements d’enseignement secondaire. En novembre dernier, nous avons permis à un petit groupe de collégiennes de Belfort de se rendre à Genève pour participer à l’évènement « Élargis tes horizons », qui mettait en valeur la place des femmes dans les filières et métiers scientifiques et techniques. Elles ont participé à des ateliers touchant tous les domaines des sciences « dures ». Je trouve ces démarches très intéressantes car ça ouvre l’esprit des jeunes. Sur ce genre de projet, on travaille main dans la main avec le rectorat.
Quelles vont être les prochaines actions PILE ?
Rhyslane Kadmiri : Avec l'université de Genève, nous préparons une action pour valoriser les femmes scientifiques franc-comtoises et suisses. Le projet s’appelle « 100 women : They did it ! ». Nous travaillons également sur la rédaction d'une charte de bonnes pratiques en matière de recrutement, accompagnée de vidéos sur les biais de genre qui seront destinées aux jurys d'enseignants-chercheurs. Nous sommes en train de finaliser une action nommée « 50 portraits d’étudiants et étudiantes pour la promotion de la mixité dans les filières et les métiers », un vernissage est prévu à la prochaine rentrée universitaire et une nouvelle action est en train de voir le jour par le biais d’une exposition tout à fait originale, ludique et innovante sur l’égalité, le genre et les stéréotypes. Elle sera mise en place courant 2019. Pour l’heure, PILE a collaboré avec l’Onisep dans le cadre de l’édition de la dernière brochure Objectif égalité, ensemble pour la mixité qui devrait paraître prochainement. Par ailleurs, je compte proposer d'autres formations et peut-être des ateliers sur l'égalité et la sensibilisation aux stéréotypes de genre pour les personnels de l'université de Franche-Comté et les nouveaux arrivants.
- 20 % des postes de professeurs d'université et de directeurs de recherche sont occupés par des femmes, tandis qu'elles représentent 41 % des maîtres de conférences et des chargés de recherche.
- Nicole Aballéa a animé les ateliers « Sensibilisation à l'égalité » les 6 et 7 mars.