L’homme qui observait le Jura
Le 6 novembre, Christian Sue, de l’OSU THETA, inaugure le réseau GPS qu’il a installé dans le Jura. Il s’agit de six stations d’observation qui vont permettre, à long terme, de mesurer les déformations dans cette chaîne de montagnes.
Le Jura est une chaîne de plis et de chevauchements qui s’est développée il y a un peu plus de 10 millions d'années en réponse à la collision alpine. On ignore si ses roches vieilles de 180 millions d’années bougent encore. Malgré l’intérêt que les scientifiques ont porté à la morphologie et à la mécanique de ces montagnes, on connaît mal leur tectonique actuelle. « Si le Jura est toujours actif, comment bouge-t-il ? Est-ce qu’il avance ? Y-a-t-il encore des chevauchements ? Est-ce qu’il monte ? » interroge Christian Sue, géodynamicien au laboratoire Chrono-environnement. Pour répondre à ces questions, ce chercheur a mis en place un système permettant de mesurer d’éventuels mouvements dans l'arc jurassien. Ce projet s’inscrit dans les missions de collecte de données à long terme de l’OSU THETA Franche-Comté-Bourgogne1.
Si le Jura se déforme, c’est probablement à des vitesses inférieures à 1 mm par an2. La détection de variations aussi infimes n’est pas simple sur le plan technique. Christian Sue utilise des stations GPS, placées de manière stratégique à différents endroits de la chaîne, qui envoient régulièrement des données. Un traitement informatique complexe permettra d’éliminer les déplacements parasites induits par exemple par les différences de température entre le jour et la nuit qui ont un effet sur la roche. À long terme, la comparaison des positions respectives de ces stations permettra de quantifier la déformation de l'arc du Jura dans son ensemble.
Des sites difficiles à trouver
« Nous avions prévu de les positionner en croix sur l’arc jurassien, mais les sites ont été plus difficiles à trouver que prévu », raconte-t-il. Les contraintes étaient effectivement nombreuses. L’antenne GPS doit être fixée en profondeur dans la roche, pour être très stable, et non dans du sol marneux ou argileux. Il faut également qu’elle puisse voir le ciel et l’horizon, ce qui n’est pas évident partout, surtout en montagne. L’électricité est indispensable à son fonctionnement, tout comme une liaison téléphonique ou 3G correcte pour la transmission des données.
Le chercheur et son acolyte, un ingénieur géodésien recruté grâce à un financement de la Région Franche-Comté3, ont passé beaucoup de temps à sillonner la montagne pour trouver des emplacements réunissant toutes ces conditions, rencontrant paysans et maires de communes, démarchant pour obtenir l’électricité ou le téléphone, avant de pouvoir sceller les antennes GPS dans des piliers en béton armé. Ce travail d’installation commencé il y a deux ans trouve son aboutissement avec l’inauguration du réseau GPS-Jura, le 6 novembre, à Hauterive-la-Fresse.
Six stations ont été installées à Flagey, La Perdrix, au refuge du Gros Morond, et sur les communes de Belvoir, du Field et de Châtel-de-Joux. Elles ont commencé à envoyer des données il y a déjà un an. Une seule attend encore d’être raccordée au réseau électrique. Chacune enregistre une mesure toutes les 30 secondes, utile pour la tectonique, et une autre toutes les secondes, pour de futures applications.
« Nous ne pourrons véritablement exploiter ces informations que dans une dizaine d’années, même si nous commencerons à avoir une idée des résultats dans cinq ans », explique Christian Sue. En attendant de savoir, par exemple, si la faille de Pontarlier bouge et à quelle vitesse, ces données sont mises à la disposition des géomètres, des météorologues et de l’IGN4. Ce réseau GPS-Jura est en effet inclus dans un réseau national plus vaste, le RENAG5, au sein duquel il va combler un manque entre deux zones géographiques déjà bien couvertes : le Rhin et les Alpes.
- L’’Observatoire des sciences de l’univers (OSU) Terre, homme, environnement, temps, astronomie (THETA) est une fédération de recherche dont la particularité est d’assurer également des services d’observation. Il assure la continuité et la pérennité de la collecte de données scientifiques sur le long terme, grâce à du personnel dédié. De nombreuses unités de recherche y participent, dont le laboratoire Chrono-environnement.
- A titre de comparaison, les Alpes, mieux connues, ont une déformation de 0,2 à 0,3 mm par an à l’horizontale à travers la chaine. Les Alpes montent à 1,5 mm par an.
- 84 000 euros apportés par la région Franche-Comté ont permis l’achat de matériel et l’embauche d’un ingénieur.
- Institut géographique national
- Le réseau national GPS permanent (RENAG) regroupe des laboratoires de recherche et organismes d’État qui mettent en œuvre et utilisent des mesures GPS/GNSS continues à des fins scientifiques.