Quidditch moldu : une fiction devenue réalité
Le quidditch, sport imaginaire né dans les romans de la série Harry Potter, a désormais ses équipes et même sa Coupe du monde. La sociologue Audrey Tuaillon Demésy a analysé les évolutions de cette pratique et les motivations de la communauté des joueurs.
« Le quidditch a des règles très simples même s'il est très difficile d'y jouer. Chaque équipe comporte sept joueurs. Trois d'entre eux sont des poursuiveurs (…). Les poursuiveurs se passent le souaffle les uns aux autres, et essaient de le lancer à travers un des cercles d'or pour marquer un but. Chaque but rapporte dix points. (…) En fait c'est une sorte de basketball à six paniers qu'on joue sur des balais. » Cet extrait du roman de J.K. Rowling Harry Potter à l’école des sorciers décrit un sport imaginaire qui est devenu, depuis quelques années, réalité. Le « quidditch moldu », comme on l’appelle parce qu’il est destiné aux « non-sorciers », est né aux États-Unis il y a une dizaine d’années. Ce sport de glisse censé se pratiquer à califourchon sur des balais volants a été transposé en sport terrestre de contact. Les plaquages y sont d’ailleurs autorisés, comme au rugby. Le balai est remplacé par un bâton que les joueurs tiennent d’une main entre leurs jambes. De l’autre, ils attrapent le souaffle, en réalité un ballon de volley légèrement dégonflé. De chaque côté du terrain, trois anneaux plantés sur des poteaux dans lesquels il faut marquer des buts. Pour compliquer le jeu, les batteurs envoient les « cognards », figurés par des ballons de dodgeball, pour éliminer les joueurs en situation d’attaque.
Un sport en cours d’institutionnalisation
Audrey Tuaillon Demésy, enseignante à l’U-Sports et chercheuse au laboratoire C3S, s'est intéressée à ce sport né d’une fiction. Elle s'est notamment rendue dans différents championnats, Coupe de France et Coupe du monde, pour observer les joueurs et mener des entretiens avec eux. Elle a analysé la façon dont cette pratique est en train de s'organiser, avec une mise en avant de la performance, passant du jeu au sport. De l'avis de la chercheuse, le quidditch suit un processus de structuration et d'institutionnalisation, à l'instar d'autres sports émergents ou alternatifs (parkour, arts martiaux historiques européens, etc.). « Au début, les joueurs étaient sur de vrais balais et portaient des capes, mais on s’éloigne petit à petit de la fiction. Le côté "fun" revendiqué par les joueurs tend à passer au second plan. Les règles ne cessent de changer, on en est à la dixième version en dix ans », raconte-t-elle. Le quidditch s’institutionnalise en France et s’organise au niveau mondial. Les évolutions sont très rapides, surtout depuis qu'il intéresse les médias. La dimension sport-spectacle, de plus en plus présente, entraîne des changements. Le vif d'or, par exemple, voit son rôle et son périmètre d'action diminuer. Cette balle ailée magique, représentée par un joueur neutre qui porte une balle de tennis accrochée à son short et dont la capture marque la fin du match, avait initialement le droit de sortir du terrain. Cela n'est plus autorisé, sinon les spectateurs ne pourraient pas suivre l'action. « De ce personnage qui faisait le pitre dépend beaucoup l'issue du match. Cela va sans doute poser problème avec la transformation en sport véritable », prévoit la sociologue.
Donner vie à un univers fantastique
Ses travaux mettent en évidence deux catégories de joueurs aux motivations et aux mentalités distinctes : d’une part, des sportifs à la recherche d’une nouvelle pratique, et d'autre part, les fans de Harry Potter qui cherchent à donner vie à un univers fantastique. Nés dans les années 1980-1990, ces derniers partagent un intérêt pour les cultures de l’imaginaire et une certaine façon de voir le monde. « Ils ne se reconnaissent pas forcément dans la société individualiste d’aujourd’hui. Pour eux, le quidditch est une façon de se retrouver entre eux et de prendre des vacances ». Si le quidditch a évolué davantage vers le sport aux États-Unis, en France, les joueurs forment encore une communauté où les gens se connaissent et s'hébergent lors des matchs. Ils revendiquent la convivialité, l’ambiance et l’ouverture propres à cette pratique. « Nous qui restions toujours sur la touche dans les sports collectifs sommes acceptés au quidditch », déclarent certains d’entre eux. L’une des caractéristiques essentielles du quidditch moldu est sa mixité. C'est pour cette raison qu'il a été créé par trois étudiants américains, deux garçons et une fille à la recherche d'un sport qu’ils pourraient pratiquer ensemble. « Il se trouve que la mixité est une valeur centrale dans les romans Harry Potter, remarque Audrey Tuaillon Demésy. C'est l'élément qui est revendiqué et mis en avant par les joueurs. C’est d'ailleurs le seul sport qui accepte le genre "non binaire2" ».
Le quidditch n'est pas l'unique sport émergent né d'une fiction. Les écoles de sabre laser fleurissent en France depuis 2015 et la pratique du mermaiding, qui consiste à nager en apnée avec une queue de sirène, se répand. Peut-être un autre sujet de recherche pour cette chercheuse de l'université de Franche-Comté qui s'intéresse à la façon dont on reconstruit des mondes, qu'ils soient historiques3 ou imaginaires.
- Le vif d'or rentre à la 18e minute de jeu, en même temps que les attrapeurs de chaque équipe, et sa capture marque la fin du match.
- On parle de genre non binaire pour les personnes qui ne se reconnaissent pas dans les genres masculin et féminin et se définissent selon d'autres catégories (agenre, transgenre, etc.).
- Auparavant, Audrey Tuaillon Demésy menait des travaux sur l'histoire vivante (cf. article lié ci-dessous).