Entretien avec François Aubin
Actuellement chef du service de dermatologie du CHU de Besançon, il a auparavant effectué un post-doctorat dans le laboratoire d’Immunologie et de Biologie Cellulaire à Houston (Texas). Son rôle d’enseignant-chercheur l’a appelé à s’intéresser particulièrement à la biologie cellulaire, aux radiations ultraviolettes, ainsi qu’au papillomavirus. Il a écrit et co-écrit plus de 300 publications scientifiques référencées, en parallèle de ses fonctions de Président de la Société de Recherche Dermatologique et de Vice-Président de la Commission Scientifique de la Société Française de Dermatologie.
Aujourd’hui, le professeur François Aubin est cité dans le top 21 des dermatologues dans le monde, pour le score h, dans la période 1980/2020. A cette occasion, nous nous sommes entretenus avec lui.
- Votre CV est impressionnant, quels ont été les moments piliers de votre parcours ?
Rien ne me prédestinait à une carrière universitaire, probablement par ignorance. J’ai été marqué dès le début de ma spécialité par le dynamisme de mon chef de service, qui d’emblée m’a proposé des travaux universitaires, licence, master, etc. Grâce à cette impulsion, je suis parti aux USA et y ait découvert le monde de la recherche médicale. Quand on fait des études médicales, c’est le plus souvent pour être médecin clinicien. On ignore tout de la recherche, qui demande une ouverture d’esprit au-delà du diagnostic et des soins. Les études médicales nous apprennent à faire des diagnostics et à traiter. Tous les jours je dis aux jeunes qu’il faut aussi comprendre et se poser des questions sur le pourquoi et le comment des diagnostics et des traitements. On a trop tendance à oublier ces questions qui nous ouvrent des portes vers d’autres domaines scientifiques : la génétique, l’épidémiologie, l’intelligence artificielle, l’ingénierie, la biologie, la mécanique, la robotique, l’éthique, etc. Certes il faut un certain courage pour accepter après 6 ans d’études de découvrir de nouveaux domaines, mais je pense qu’on n’est pas à 1 ou 2 ans près dans une vie, cela vaut la peine de saisir l’occasion de découvrir autre chose en lien avec la médecine. Même si on a aucune garantie pour l’avenir en terme de carrière universitaire !
- Aujourd’hui vous vous distinguez dans un classement des publications de dermatologues, pouvez-vous nous en dire plus ? Sept français y figurent, estimez-vous que c’est beaucoup ?
L’index h estime le nombre de publications et de citations de ces publications, c’est un score à la fois qualitatif et quantitatif. Il faut produire mais avec qualité. Le classement publié est fait par période, ici entre 1980 et 2020. Y figurent 7 français dont mes anciens maîtres : Jean Thivolet (Lyon), Jean-Claude Roujeau et Jean Revuz (Créteil), Jean-Paul Ortonne (Nice), Carle Paul (Toulouse), Pascal Joly (Rouen) et moi-même. C’est un vrai honneur pour moi de figurer dans ce classement, car il représente vraiment l’excellence de la dermatologie française depuis le début de mes études. La France est très peu représentée et j’espère que les nouvelles générations pourront aussi se distinguer. La SFD offre depuis quelques années de nombreuses bourses de master, de thèse et de post-doctorat pour aider les jeunes à réaliser des parcours scientifiques ; ce n’était pas le cas avant les années 2000. Mais le problème essentiel reste le manque d’attractivité des carrières universitaires pour les jeunes médecins en raison des aspects financiers mais aussi et surtout de l’investissement personnel nécessaire.
- Clermont, Houston, Paris, vous vous êtes beaucoup déplacé, qu’est-ce qui vous a mené en Franche-Comté ? Et qu’est-ce qui vous y retient aujourd’hui ?
Je suis arrivé dans le Grand Est, à Besançon, pour faire ma spécialité de dermatologie, sur les conseils du professeur de dermatologie du CHU de Clermont-Ferrand. Je n’avais pas de famille dans la région
et ne souhaitais pas trop m’éloigner de l’Auvergne ! J’ai saisi les opportunités de carrière et je suis resté. J’ai immédiatement apprécié l’ouverture d’esprit et l’accueil des franc-comtois. J’ai découvert le TGV et l’accès facile vers Paris, Lyon et la Suisse. J’ai donc pu facilement profiter des grands centres médicaux et universitaires, ce qui aurait été impossible en Auvergne. Besançon est certes un petit centre, mais tout le monde se connaît et il est très facile d’établir des collaborations au sein de l’université et du CHU. On gagne un temps précieux pour mettre en place des travaux de recherche.
- En plus de la recherche, vous enseignez. Qu’est-ce que cela vous apporte ? Qu’est-ce qui vous anime dans ces deux disciplines ?
L’enseignement nous fait progresser car il nous oblige à garder les pieds sur terre et à rester confronté au monde des étudiants et de l’apprentissage. Un médecin enseignant-chercheur n’existe que par les patients et les étudiants. Malheureusement, les demandes des étudiants et des patients ont tendance à augmenter, il devient de plus en plus difficile d’y répondre. Sans compter les exigences administratives ! Les connaissances médicales et scientifiques augmentent de façon exponentielle, et une séparation des fonctions médicales (diagnostics et soins) et universitaires (enseignement et recherche) semble inéluctable.
- Avez-vous un message à faire passer aux chercheurs qui vous suivent, et aux étudiants qui hésitent peut-être ?
Profitez des opportunités de mobilité et de formation pour découvrir la recherche en France ou à l’étranger. C’est un enrichissement pour votre pratique médicale par la découverte d’autres façons de travailler, soigner, apprendre, chercher, etc. Passer 1 ou 2 ans de sa vie à faire de la recherche dans un domaine médical d’intérêt, cela vaut vraiment la peine, sur le plan personnel d’abord, et puis parfois aussi pour sa carrière. Ne soyez pas pressés de vous installer en cabinet, vous aurez tout le temps ensuite.