Ruptures familiales et devenir des TPE
Nombreuses dans l’Arc jurassien, les TPE (très petites entreprises) sont construites pour la plupart sur un fonctionnement familial qui fait leur force autant que leur fragilité. Un projet de recherche Interreg1 se penche sur les conséquences que peut avoir une perte d’équilibre dans ces entreprises, et apporte ses recommandations aux acteurs concernés.
Dans l’Arc jurassien franco-suisse, 90 % des entreprises sont des très petites entreprises. Des TPE comptant par définition moins de dix salariés, et ici pour les trois quarts, moins de trois. Issues du monde agricole et de l’artisanat, elles imbriquent pour la plupart vie professionnelle et vie personnelle. « Une force autant qu’une faiblesse », résume Maylis Sposito, doctorante au laboratoire de sociologie et d’anthropologie (LaSA) de l’université de Franche-Comté, impliquée aux côtés de Laurent Amiotte-Suchet, de l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) de Genève dans ce projet Interreg, expliquant comment cette organisation familiale peut fragiliser l’entreprise dès lors qu’elle est affectée par une situation de rupture. Les chercheurs donnent des éléments de recommandation, un volet « action » qu’il n’est pas si courant de voir explicitement intégré à un projet de recherche.
Avoir les atouts en main
Si les images de l’épouse s’occupant de « la paperasse » de son mari artisan, ou du père en retraite mais toujours occupé à la ferme reprise par le fils ont quelque chose de désuet, elles reflètent toujours la réalité. Pour être viables économiquement, les TPE ont pour la plupart besoin de recourir à une main d’œuvre gratuite et disponible, au risque de se voir un jour piégées par un système qu’elles n’ont pas toujours eu les moyens de jauger. En France, la loi veut apporter un cadre, en obligeant notamment les femmes à adopter un statut, depuis 1999 dans le monde agricole et depuis 2008 dans l’artisanat. Elles ne sont dans ce secteur que 30 % à s’y conformer. Et l’adoption d’un régime matrimonial ou d’un autre, tout comme le choix d’un statut juridique pour l’entreprise, n’ont rien non plus d’anodin. Loin de vouloir indiquer une ligne de conduite à suivre aux responsables de TPE, les chercheurs veulent mettre entre leurs mains l’ensemble des cartes qui leur permettront de faire des choix éclairés.
L’étude pointe les situations de rupture susceptibles de mettre en péril l’entreprise, le décès d’un membre de la famille, le divorce de conjoints ou la séparation de frères associés en GAEC, la maladie ou l’accident invalidant.
Les cinquante entretiens qualitatifs, menés de part et d’autre de la frontière auprès de personnes concernées, révèlent qu’en général l’entreprise s’adapte pour continuer à poursuivre son activité coûte que coûte : hormis quelques fermetures dans les cas les plus extrêmes (décès), on se bat pour sauver l’entreprise. La réorganisation est le maître mot, elle implique une surcharge de travail pour certains membres de la famille, parfois un emploi à l’extérieur pour l’épouse ou la poursuite de son activité par le chef d’entreprise malgré un accident invalidant, pour compléter des indemnités journalières insuffisantes.
Les conclusions de cette étude devraient hautement intéresser les acteurs de terrain impliqués dans l’accompagnement à la création ou à la reprise d’entreprise, des vecteurs privilégiés d’information auprès de ces publics. Ils seront à ce titre invités à participer à des journées de sensibilisation, et dans un premier temps à un colloque organisé les 16 et 17 juin prochains à Besançon, pour lequel chacun peut contacter Maylis Sposito pour toute précision et inscription. Le colloque présentera les résultats de l’étude et un film documentaire reprenant ses enseignements. Car si le parcours de vie familial et la trajectoire d’une entreprise sont uniques, toutes les situations portent des enjeux socioéconomiques et territoriaux à ne surtout pas négliger.
- « Enjeux socioéconomiques des situations de ruptures dans les TPE rurales de l’Arc jurassien franco-suisse », projet Interreg IV-A mené sous la direction de Dominique Jacques-Jouvenot côté France et d’Yvan Droz côté Suisse.
Article paru dans le numéro 257 du journal en direct de mars-avril 2015.
Contact
Maylis Sposito
06 51 90 12 25
maylis.sposito@edu.univ-fcomte.fr
Dominique Jacques-Jouvenot
03 81 57 28 27
dominique.jacques-jouvenot@univ-fcomte.fr