L'ivoire sous la terre : une découverte sacrée
Le petit archipel du Kvarner, en Croatie, compte pas moins de soixante-quinze églises érigées à la fin de l’Antiquité ou au début du Moyen-Âge. Mais cette profusion ne laissait en rien présager la découverte d’un peigne liturgique datant du Ve siècle, une trouvaille exceptionnelle dont se sont félicités Morana Cauševic-Bully, Sébastien Bully et leurs étudiants en archéologie lors de leur dernière campagne de fouilles sur le site de Mirine-Fulfinum, sur l’île de Krk.
« À notre connaissance, c’est le quatrième peigne liturgique paléochrétien découvert dans le monde, et le deuxième pour lequel le contexte archéologique est vraiment connu », explique Morana Cauševic-Bully, spécialiste en Antiquité tardive et haut Moyen Âge, chercheure au laboratoire Chrono-environnement et enseignante à l’université de Franche-Comté.
Les peignes liturgiques relevaient d’un usage sacré : passés dans leur chevelure et leur barbe, ils débarrassaient les prêtres de leurs impuretés physiques et morales avant toute célébration du culte. Celui-là est en ivoire, décoré de scènes bibliques dont les détails et la finesse de réalisation ont été révélés grâce au travail minutieux des restaurateurs du musée archéologique de Zagreb. Sa datation au carbone 14, corroborée par une analyse stratigraphique et par une étude iconographique et stylistique, situe son origine probable entre la fin du IVe et le début du Ve siècle, ce qui en fait le plus ancien connu à ce jour.
Le site de Mirine-Fulfinum, mis au jour dans les années 1970, est composé d’une ville antique et d’un vaste complexe ecclésial paléochrétien de première importance. Sa configuration pose la question du rôle des îles dans l’activité d’une région, notamment de la navigation, et de celui de l’Église dans la gestion de ces mêmes territoires. « Grâce aux recherches que nous menons depuis dix ans sur ce site, nous suggérons que ce complexe ecclésial devait accueillir voyageurs, marins, commerçants ou soldats, précise l’archéologue. Par ailleurs, nous avons pu prouver que la ville de Fulfinum est encore occupée au tout début du haut Moyen Âge, ce qui bouscule les idées établies jusqu’alors, et confère au site une importance majeure sur la route de l’Adriatique vers le continent. »
Le programme de recherche archéologique Mirine-Fulfinum est un partenariat franco-croate entre la commune d’Omišalj, dont dépend le site, les laboratoires Chrono-environnement et ARTeHIS (Dijon), l’École française de Rome ; il reçoit le soutien financier du ministère de la Culture de Croatie, du ministère des Affaires étrangères françaises et de Caritas Veritatis Foundation.
Article publié dans le numéro 275 de mars 2018 du journal en Direct.