Panorama de l'hémicyle de l'assemblée nationale
Richard Ying et Tangui Morlier CC BY-SA 3.0
Auteur 
Catherine Tondu

Les maux du discours politique

Les leaders des partis classiques évincés au profit d’outsiders sur lesquels peu de monde aurait parié en France, des extrêmes de gauche ou de droite portés au centre du débat politique dans toute l’Europe, des élections américaines défrayant la chronique… La bataille du pouvoir semble échapper à toute règle connue. Que nous apprend le discours politique de ces situations inédites et des sociétés qui les portent ?

L’évolution du discours témoigne partout d’un réel bouleversement de la donne politique et sociale. L’élection de Trump, le Brexit, la montée des extrêmes en Europe, l’incertitude des résultats électoraux sont autant de faits à inscrire au passif de la crise de 2008. Mathieu Petithomme est enseignant en sciences politiques et chercheur au Centre de recherches juridiques de Franche-Comté. « Toutes ces situations politiques sont à relativiser, elles viennent en réaction à cette lame de fond économique et sociale qu’a été la crise. Si nous vivons clairement une transition, on ne sait cependant pas sur quelle configuration elle va déboucher ». Mathieu Petithomme parle du recul des « consensus sociopolitiques » qui prévalaient depuis les années 1990, avec par exemple l’idée d’une Europe intouchable et d’une mondialisation « bénéfique et glorieuse ». « La période actuelle est marquée par le déclin de l’idée européenne et un désenchantement vis-à-vis de la mondialisation : le discours européen doit se réinventer pour que l’Union perdure ; le discours altermondialiste, autrefois marginal, est devenu central ». Ces questions existentielles entraînent une réorganisation des clivages politiques : à la traditionnelle opposition droite / gauche désormais un peu dépassée dans les pays européens, se substitue une lutte entre partis gouvernementaux et protestataires. De nouvelles formations apparaissent, comme PODEMOS en 2014 en Espagne1, qui veut « convertir l’indignation en changement politique », ou encore SYRIZA en Grèce, et l’arrivée au pouvoir en 2015 de ce parti d’extrême gauche, jusque-là minoritaire.

Le discours, reflet d’un malaise sociopolitique

En France et dans certains pays d’Europe centrale, où le spectre du communisme empêche la progression de l’extrême gauche comme dans le sud, c’est l’extrême droite qui gagne du terrain, là aussi favorisée par l’affaiblissement des consensus sociopolitiques d’avant 2008, et l’absence de discours porteurs et traduits en actes qui pourraient prendre le relais. Mais de nouvelles voix se font entendre aussi, comme celle d’Emmanuel Macron, dont la candidature bénéficie d’un ensemble de conjonctures favorables, comme le souligne Mathieu Petithomme : « un changement générationnel, un affranchissement vis-à-vis de la politique traditionnelle, et un discours attrape-tout. La candidature d’Emmanuel Macron s’affirme en réaction à la vacuité des mots, à l’incohérence entre discours et action, et à une éthique politique mise à mal. Ne pas avoir d’histoire politique le sert, mais peut le desservir très vite aussi, si son discours face aux autres candidats n’affiche pas suffisamment de conviction. »

C’est ce que le chercheur appelle « l’effet soufflet ». En France, comme ailleurs en Europe, le déclin des consensus et le besoin de voir gérer des situations sociales conflictuelles poussent les citoyens vers la nouveauté politique, qu’il s’agisse d’un parti, d’une entreprise ou d’un homme. C’est ainsi qu’une bulle de popularité peut rapidement se gonfler autour d’une personnalité, mais se dégonfler tout aussi vite si le discours ne passe pas l’épreuve de la concrétisation, et s’avère décevant. « L’incertitude sociopolitique d’un côté et une bonne distance critique chez les citoyens de l’autre forgent un comportement changeant chez les électeurs, qui en grand nombre papillonnent d’un homme politique à l’autre. » Et les sondages, les mois passés l’ont prouvé, perdent toute valeur prophétique.

Inscrire les bons thèmes à l’ordre du jour

Bien sûr, un évènement inattendu peut aussi changer la donne : un scandale politique comme celui des e-mails de Clinton aux États-Unis ou l’affaire Fillon en France, une catastrophe telle que l’accident nucléaire de Fukushima, ou encore un attentat, dont tous les exemples sont à déplorer. L’impondérable bouscule les thèmes de campagne inscrits à l’agenda, ou plutôt aux agendas qui font référence en vue d’une élection. Il faut ici comprendre, sous le terme « agenda », l’idée d’épingler différentes problématiques à un ordre du jour, plus que la notion de rendez-vous chronologiques. À la fin des années 1960, les Américains Mc Combs et Shaw mettent en évidence que les médias attirent l’attention des citoyens sur certains sujets plus qu’ils n’influencent leur opinion. Depuis, les théories en communication politique ont évolué, et souligné que des interactions existent entre trois agendas, donc entre trois préoccupations différentes : l’agenda politique, l’agenda de l’opinion publique et l’agenda médiatique. « Aujourd’hui l’équilibre entre eux procède du marketing politique et de la stratégie, explique Julien Auboussier, enseignant-chercheur en sciences de la communication à l’université de Franche-Comté2. Le politique est à l’écoute de l’opinion publique pour mieux lui parler des thèmes qui lui importent, et les médias assurent un discours de reprise. Nicolas Sarkozy, par exemple, était toujours à l’affût des sondages pour mieux déterminer ses thèmes de campagne ».

Les thématiques choisies pour une campagne se doivent d’être clivantes, de démarquer les candidats. La sécurité, l’identité, le chômage, l’Europe, la santé, l’environnement…, vont selon les époques marquer de façon plus ou moins forte les différents agendas. La manière dont ces sujets vont être abordés est aussi une possibilité de se singulariser. Le nucléaire peut par exemple être vu sous un angle économique ou selon une considération écologique.

Le thème de l’Europe illustre parfaitement cette idée de stratégie. En France, en Espagne ou encore en Irlande, il est très peu question de l’Europe dans les débats, alors que l’union et la construction européennes figurent au premier plan des campagnes électorales, comme un passage obligé garantissant le succès à l’élection. Née de la volonté des gouvernements, concrétisée d’abord par des accords économiques puis portée par une ambition fédéraliste, l’Europe s’essouffle. Il faut la nourrir de nouveaux projets pour qu’elle continue à vivre. « Les discours à son sujet ne véhiculent pas de vraies idées. Et le comportement des élus européens, avec par exemple pour certains une fréquentation ridiculement faible aux sessions du Parlement, souligne encore la contradiction entre le discours et l’action. En France, seuls les Verts avec Cohn-Bendit dans les années 2000 affichaient une ligne claire et cohérente vis-à-vis de l’Europe ».

Les thèmes se diversifient avec différents points d’entrée et l’agenda médiatique se démultiplie avec internet et les réseaux sociaux. Si les médias traditionnels tiennent encore le haut du pavé, les réseaux sociaux, les blogs et autres forums véhiculent de nouvelles informations, et sont les relais privilégiés des candidats qui critiquent largement les médias traditionnels. « En cette période où l’on se méfie des institutions et des élites, les réseaux sociaux nourriraient-ils l’imaginaire de la démocratie directe ? », se demande Mathieu Petithomme. 

La démultiplication du discours par le jeu des nouveaux relais d’information ajoute encore à la complexité des campagnes électorales dans une période politiquement et socialement chahutée. Fin du suspense en France le 23 avril et le 7 mai prochains…

  1. Fernandez Garcia A., Petithomme M., Contester en Espagne, crise démocratique et mouvements sociaux, Demopolis, 2016
  2. Julien Auboussier enseigne au département Information-communication de l'IUT Besançon-Vesoul

Extrait du dossier Les maux du discours politique paru dans le n°269 de mars-avril du journal en Direct.

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