Les Alpes gagnent de la hauteur
Le cœur des Alpes grimpe ! De deux millimètres par an seulement, il est vrai, mais la précision de la mesure force l’admiration, et le phénomène pose question. Le résultat provient d’une étude récemment publiée dans Nature Scientific Reports, à laquelle a participé Christian Sue, géodynamicien au laboratoire Chrono-environnement.
L’analyse s’appuie sur les données de nivellement topographique relevées depuis plus d’un siècle et sur les mesures GPS effectuées ces quinze dernières années, les premières apportant le recul historique, les secondes confortant les résultats par une incomparable précision métrologique. « Avoir combiné les deux méthodes pour en tirer une conclusion générale était inédit », raconte le chercheur.
La précision des mesures GPS s’évalue à quelques dixièmes de millimètres sur vingt ans ; elle permet d’affirmer que le cœur de la partie occidentale des Alpes, constitué autour des massifs de la Vanoise et du Mont-Blanc, gagne deux millimètres par an, quand les régions centrales plus au sud ne grandissent que d’un millimètre dans le même temps. Chipotage dérisoire au vu des 4 800 mètres d’altitude auxquels culmine le mont Blanc ? Il n’en est rien, car le phénomène entre en contradiction avec la tectonique actuelle de la chaîne en extension, et suggère de nouvelles réflexions. « Par exemple, l’élévation des roches devrait être plus rapide là où la sismicité est la plus active. Ici, c’est exactement le contraire qui se produit. »
Bien d’autres paramètres et postulats sont à prendre en considération, et du coté des explications, les hypothèses ne manqueront pas de se combiner pour comprendre comment fonctionne la montagne : le rebond postglaciaire, responsable du soulèvement des masses terrestres en compensation des déglaciations survenues voilà près de 20 000 ans ; la fonte des glaces actuelle, impliquant le même processus d’isostasie ; enfin l’érosion, provoquant le transfert de matière du cœur de la chaîne vers les bassins sédimentaires autour des massifs, avec pour conséquence, toujours selon un principe de compensation, le soulèvement des roches.
Selon Christian Sue, ces explications, pour être tout à fait valables, ne suffisent pas à expliquer la totalité des mouvements verticaux observés. « La dynamique des plaques est sans doute également impliquée, avec des processus qui se jouent au niveau de la lithosphère et dans le manteau atmosphérique, donc jusqu’à deux ou trois cents kilomètres sous le niveau du sol. C’est l’équilibre des masses en surface comme en profondeur qui, à mon avis, est responsable de l’élévation de cette partie des Alpes. »
Article publié dans le numéro 267 de novembre 2016 du journal en Direct.