Le code du travail
Ludovic Godard
Auteur 
Catherine Tondu

La loi subordonnée au contrat ?

Dura lex, sed lex… En matière de droit du travail, l’adage a gagné en souplesse en France depuis trente ans, avec l’entrée en lice des partenaires sociaux aux côtés des législateurs dans l’établissement des règles du jeu de l’entreprise.

Retour à la case départ. 1982 : la mise en place des premiers accords dérogatoires donne de la latitude aux entreprises par rapport aux niveaux décisionnels supérieurs, à savoir les conventions collectives de branche qui fixaient les règles depuis les années 1950, elles-mêmes ayant pris le relais de l’État dans ce rôle. Autant d’étapes marquant la réforme de l’État providence. Les lois de 2004 et de 2008 accélèrent le processus et font pencher de plus en plus la balance du côté de l’entreprise, favorisant l’expérience du terrain et la mise en retrait du législateur. Les partenaires sociaux entrent en jeu : désormais, des négociations entre organisations patronales et syndicats de salariés précèdent obligatoirement toutes les grandes réformes, et l’entreprise peut fixer ses propres règles, toujours sous couvert de concertations. La souplesse est grande à l’intérieur d’un cadre qui reste placé sous la responsabilité de l’État.

La majoration des heures supplémentaires est un bon exemple de cette organisation. « La loi préconise un taux de 25 % de majoration des heures supplémentaires, qui s’applique dans une entreprise à défaut d’accord collectif. Elle fixe aussi le plancher minimum de rémunération à 10 %. Si pour une entreprise, un accord entre partenaires sociaux fixe le taux à 20 %, c’est celui-là qui sera appliqué », explique Thomas Pasquier, spécialiste de droit privé au CRJFC, le Centre de recherches juridiques de Franche-Comté.

Droit tout-puissant ou instrument ?

Très actuel, le débat sur le travail dominical est également révélateur. Si la loi l’interdit, sauf exceptions comme les boulangers ou les fleuristes, en pratique on sait que certaines grandes enseignes ne craignent pas de s’y soustraire, les amendes s’avérant négligeables au vu du profit réalisé.

 « Les économistes utilisent des outils comme la théorie des jeux pour connaître le point d’équilibre d’une situation de concurrence, et peuvent émettre des recommandations auprès du législateur, souligne Karine Brisset, économiste au CRESE, le Centre de recherche sur les stratégies économiques de l’université de Franche-Comté. Si la volonté est de laisser fermés les magasins le dimanche, alors il faut revaloriser l’amende jusqu’à atteindre ce point où les entreprises n’auront plus rien à gagner au sens strictement financier ».

Mais le droit épouse-t-il des valeurs dominantes inspirées par la sphère économique ou assure-t-il la défense de valeurs supérieures ? Pas de réponse tranchée pour Thomas Pasquier qui estime que « le droit du travail organise des équilibres à l’intérieur d’un conflit de valeurs, celles dictées par la sphère économique et celles, fondamentales, attachées à la question de l’être humain ».

Le marché se substitue parfois même au droit en matière de sanction. Issue d’une directive européenne, la loi de 2008 concerne l’adoption d’un code de gouvernance d’entreprise selon le principe du comply or explain : les sociétés cotées en bourse doivent se conformer à un code qu’elles choisissent et s’expliquer sur des décisions qui n’y seraient pas conformes. « Les associations professionnelles et les instituts d’administrateurs apprécient le comply or explain pour sa flexibilité et la possibilité pour une société d’adopter des structures de gouvernance appropriées », raconte Catherine Refait-Alexandre dans une recherche en économie menée au CRESE. Mais le principe pose ses limites. « La loi française ne requiert pas des sociétés qu’elles livrent une déclaration de conformité explicite. Il est facile de dissimuler aux yeux de la loi certains écarts aux principes de code ». Mais c’est du marché financier que tombe la sanction, par exemple sous forme de vente d’actions lorsque l’entreprise prend d’autres décisions que celles annoncées.

Article paru dans le journal en Direct n°252 - mars-avril 2014

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