Illusion, détournement d'attention et fausse solution : quand le magicien s'amuse avec les limites de nos cerveaux
Cyril Thomas, docteur en psychologie cognitive, cherche à mieux comprendre les failles de nos cerveaux en utilisant la prestidigitation, sa deuxième passion née sur les bancs de l’Université de Franche-Comté, à Besançon. Le temps de trois questions, ce spécialiste des tours avec élastiques nous explique comment les magiciens jouent bel et bien depuis plusieurs siècles avec les limites cognitives de l’homme.
1. Lors d’un tour de magie, comment les prestidigitateurs manipulent-ils nos processus cognitifs ?
Personne au monde n'est plus expert qu’un magicien pour tromper l’esprit. Cela fait des siècles que les prestidigitateurs ciblent intuitivement les failles cognitives de l’être humain. En fait, ils savent très bien que nous, spectateurs, sommes persuadés d’avoir d’excellentes capacités perceptives. En réalité, nous sommes tous mauvais dans ce domaine : le cerveau ne peut pas trier toutes les informations qu’il reçoit en même temps et doit donc en sélectionner. La magie repose finalement sur la manière dont l’esprit interprète un phénomène tout à fait normal. Le détournement d’attention est par exemple utilisé par les prestidigitateurs depuis plusieurs siècles, une technique que les chercheurs en psychologie ont récemment testée en laboratoire, il y a quelques décennies. En créant des temps forts à l’aide d’une certaine gestuelle privilégiant d’ailleurs les courbes plutôt que les mouvements droits, le magicien attire l’attention du public sur un objet. Alors que les yeux du spectateur enregistrent toute la situation comme une caméra qui tourne, son cerveau va en revanche, pour lui donner du sens, choisir uniquement quelques informations à traiter et mettre de côté tout le reste. Il ne va alors pas percevoir ce qui se passe en dehors de la zone d’attention, notamment ce que fait le magicien avec son autre main. Le spectateur se trompe souvent lui-même. Le prestidigitateur y est évidemment pour quelque chose, mais ce sont avant tout nos croyances et nos attentes qui en sont la cause. Par exemple, lors du tour du Vanishing ball illusion, à savoir l’illusion de la balle qui disparaît, le magicien lance une balle deux fois en l’air et au troisième lancer, il la garde dans sa main. Pourtant, la majorité des spectateurs ont vu la balle disparaître en l’air ou s’élever en dehors de l’écran. En fait, on s’attend tellement au lancer de la balle que l'esprit va créer l’élément logique qui est censé avoir lieu ici : même s’il ne la voit pas, le cerveau du spectateur infère le fait qu’elle aurait dû s’élever et va donc créer cette image mentale du lancer de balle. Il est ainsi intéressant d’observer dans quelle mesure l’esprit humain peut voir quelque chose qui n’existe pas et ne pas voir une action bien réelle !
2. Quels facteurs limitent les capacités de l’homme à penser autrement, et donc finalement à déjouer les tours des magiciens ?
L’un des facteurs essentiels reste que l’esprit humain a besoin de simplifier et catégoriser le monde qui l'entoure. Si le cerveau estime qu’une action ou qu’une chose ressemble à ce qu’il connaît déjà, il va la considérer comme telle, quitte à la simplifier, notamment en mettant de côté une partie d’une séquence perceptive comme si elle n’avait jamais eu lieu. Il va donc faire des raccourcis. Les décisions plus analytiques que nous prenons sont, elles, moins sujettes à erreurs, puisqu’elles consistent en des situations bien trop nouvelles pour que nous ayons déjà la solution en tête. Les prestidigitateurs se servent justement de cette simplification des situations par le cerveau : en magie, il n’y a aucun geste naturel, mais ils sont suffisamment similaires aux mouvements naturels pour que l’on se dise que ce sont les mêmes (par exemple, la manière dont un illusionniste manipule une pièce de monnaie). La gestuelle du magicien n’attire donc pas la suspicion. La simplification faite par le cerveau et sa persévérance à croire en une unique solution sont également utilisées par les prestidigitateurs, à travers un principe, celui de la fausse solution. Lors d’un tour de magie, ils initient ainsi une première fausse solution dans l’esprit des spectateurs, pour les détourner du réel secret. Il est très difficile pour l’esprit humain d’abandonner une solution dans laquelle il s’est déjà engagé, plutôt que d’en admettre une autre, et le spectateur va donc être coincé dans un univers de résolution bien éloigné du secret du tour.
3. Vous êtes magicien en parallèle de vos recherches sur la psychologie cognitive. Faut-il tout révéler sur la magie ?
Je garde en effet beaucoup de secrets pour moi afin que le public puisse continuer à ressentir cette sensation d’émerveillement lors des tours, mais je souhaite leur en dévoiler suffisamment pour qu’ils puissent apprécier l’ingéniosité de la magie. Celle-ci n’est pas seulement un art. Elle n’est pas qu’un simple divertissement non plus. La magie réserve un double émerveillement au niveau psychologique et humain. Elle permet de mieux comprendre l’esprit de l’homme, ses failles et les erreurs qu’il commet.
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