Trois photos d'ouvriers accrochées sur un mur.
Ludovic Godard
Auteur 
Delphine Gosset

Un certain regard sur le monde ouvrier

L’exposition « Dans la gueule du Lion » présentée actuellement au Gymnase-espace culturel de l’université offre une image inédite des ouvriers de l'usine Peugeot à travers l'objectif du photographe Raphaël Helle.

Peugeot, en Franche-Comté et en particulier à Montbéliard, ce n’est pas rien. L’usine PSA de Sochaux représente un site industriel énorme, presque une ville dans la ville. Son implantation il y a plus d’un siècle a structuré le territoire et conditionné la vie de beaucoup d’individus. Dans les années 1970, 42 000 ouvriers y travaillaient. Ils ne sont aujourd’hui plus que 11 000, dont de nombreux intérimaires.

Habituellement, on ne peut pas entrer dans l’usine armé d’un appareil photo. Pourtant, Raphaël Helle a pu y passer six mois en immersion à partir de 2013. Son reportage s’inscrit dans le projet participatif « La France vue d’ici », porté par Médiapart et le festival ImageSingulières, qui vise à montrer la société française d’aujourd’hui. L’idée était de donner un visage aux ouvriers dont on parle beaucoup et qu’on instrumentalise, en particulier en période électorale, mais qu’on montre peu et qui ont rarement voix au chapitre.

Sous son objectif, on ne retrouve pas les images habituelles. Les hommes et les femmes sont plutôt jeunes, souvent tatoués. L'artiste les montre tantôt concentrés sur leur travail, tantôt pendant les moments de pause ou à leur domicile. Sur ces clichés, la chaîne, rutilante, prend des allures de décor de films de science-fiction. Les images sont frappantes, comme celle d'un homme arborant une crête éclairé par un néon qui intervient sous une voiture. Même impression devant celle où les fumeurs, voûtés, s'entassent dans un box vitré bordé d'énormes affiches figurant une nature artificielle. Dans les créations très esthétiques de Raphaël Helle, on n'entend pas le bruit, on ne perçoit pas les cadences, mais on voit le sérieux, la concentration, les hommes qui rentrent à l’usine la tête basse.

« Ce que nous donnent à voir ces photographies, ce sont des êtres seuls, même lorsqu’ils sont regroupés. Point de parole qui semble prononcée, ou de regard qui serait échangé (…) Dans ces photos-là, comme l’absence d’une interaction, comme si l’organisation du travail avait, en s’imposant, brisé les relations », écrit l'ethnologue Noël Barbe, auteur de la majorité des textes qui accompagnent l’exposition. « C’est vrai que depuis que tout est organisé en îlots, les gens ont beaucoup moins l’occasion de se rencontrer et d’échanger. Mais là, il n’y a pas un sourire. On ne voit pas les petits moments de solidarité… Le photographe, il avait déjà écrit son histoire avant de venir », commente Marc, ancien ouvrier de Peugeot aujourd’hui retraité. Représentatif ou pas ? Cette exposition montre avant tout un regard d’artiste à travers lequel chacun peut trouver à réfléchir.

« Photographier le travail n’est pas une opération anodine et neutre. Les démarches artistiques contemporaines centrées sur le monde du travail ne peuvent empêcher de poser des questions sur le statut social et politique des ouvriers : qui sont-ils ? Comment travaillent-ils ? Que souhaitent-ils ? Le monde ouvrier est un kaléidoscope de situations sociales hétérogènes », déclarent Karine Rymeyko et Guillaume Gourgues, enseignants-chercheurs à l’université de Franche-Comté, respectivement en sciences de gestion et en sciences politiques. « Les recherches montrent que la robotisation et la hausse des qualifications n’ont pas fait disparaître la pénibilité du travail en usine. Le port de charges lourdes, les postures difficiles perdurent et les ouvriers sont exposés à un environnement physique agressif. De nouvelles formes de pénibilité sont même apparues avec les méthodes d’organisation du travail développées à la fin du XXe siècle », ajoutent-ils.

Sensibiliser les étudiants

Si le service Sciences, arts et culture de l’université de Franche-Comté a choisi de montrer ces clichés, c’est pour y introduire une réflexion des chercheurs et des étudiants. Ils sont nombreux à avoir été impliqués dans des projets liés à l'exposition. Quand celle-ci a été présentée à Audincourt en février et mars derniers, des groupes d'étudiants en licence professionnelle Marketing et communication des organisations du spectacle, de l'événementiel et des loisirs (MOSEL) se sont chargés de la communication et de la médiation auprès du public. Plusieurs moments de rencontre entre le photographe et différentes filières de formation, dont le DUT Génie mécanique et productique (GMP), ont été organisées. Les étudiants en Administration économique et sociale (AES) ont réalisé avec lui une vidéo. Raphaël Helle a également formé les première année de DUT Génie Civil – construction durable aux aspects techniques de la photographie pour qu'ils puissent réaliser des images pendant leur stage et ainsi « apprendre à voir le chantier et ses ouvriers ». En DUT Gestion des entreprises et des administrations (GEA), un groupe a adopté une démarche similaire à celle de l'artiste en allant réaliser des portraits d’ouvriers de différents secteurs. Ces deux derniers projets étudiants ont été présentés dans les bibliothèques universitaires.

« Dans la gueule du Lion » est visible au Gymnase-espace culturel de l'université à Besançon jusqu'au 21 mai. Elle fait l'objet d'un partenariat avec la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) Bourgogne-Franche-Comté, la Région, la Ville de Besançon, la Ville d'Audincourt et la maison de photographes Signatures.

Contact

Service Sciences, arts et culture - SAC

Portrait de Raphael Helle
L'exposition "dans la gueule du Lion" au Gymnase-Espace culturel
Des clichés de Raphaelle Helle encadrés au mur.

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