Menace sur les tourbières
Le réchauffement climatique inquiète les spécialistes des tourbières. À Frasne, des chercheurs s'attèlent depuis sept ans à simuler ce réchauffement afin d'en observer les conséquences sur les écosystèmes.
Milieu naturel essentiel, les tourbières sont protégées en France, où elles s’étendent sur 1 000 km2. En Sibérie, la plus grande tourbière représente à elle seule 50 000 km2, plus que la superficie de la Suisse ! L’enjeu des tourbières est lié aux quantités incroyables de CO2 et de méthane qu’elles renferment, et dont on craint qu’elles se libèrent dans l’atmosphère sous l’effet de l’accélération de la décomposition de la matière organique à mesure que leurs prisons glaciales montent en température.
Spécialistes de ces milieux humides largement influencés par les conditions de température et de pluviosité, Daniel Gilbert, au laboratoire Chrono-environnement de l’université de Franche-Comté, et Edward Mitchell, au laboratoire de biologie du sol de l’université de Neuchâtel, travaillent depuis plus de vingt ans à étudier leur fonctionnement. Leurs travaux sont basés sur l’étude de la végétation et des micro-organismes, les vivants comme ceux conservés depuis des milliers d’années dans les strates de la tourbe. Pour surveiller les tourbières et prévoir leur évolution, des dispositifs de mesure et de simulation du réchauffement sont installés sur le site de Frasne (Doubs) depuis 2008. Une expérience qui s’est exportée depuis à l’immensité sibérienne et en Pologne, où les mêmes installations scientifiques sont implantées. « Il est intéressant d’extrapoler nos recherches à ces grandes surfaces de tourbières, dans des régions où, de plus, le réchauffement est plus marqué », souligne Edward Mitchell.
Écosystèmes en mutation
« À Frasne, le réchauffement simulé montre un changement significatif des relations entre les plantes supérieures, les mousses, les microbes vivant en surface et en profondeur, et la chimie de l’eau, raconte Daniel Gilbert. C’est le fonctionnement tout entier de l’écosystème qui s’en trouve modifié, avec des conséquences sur le stockage et le cycle du carbone qu’il reste à mesurer. » Des mâts équipés de capteurs devraient être installés à cet effet au-dessus du site de Frasne dès cet hiver : le dispositif mesurera la concentration de CO2 dans l’air sur plusieurs centaines de m2, et déterminera si le gaz se répand ou s’il est happé par la tourbière.
Des années de recul seront encore nécessaires pour comprendre les interactions entre le climat et les tourbières. « Il faut se garder de généraliser certaines conclusions, prévient Daniel Gilbert. Si les tourbières du Sud de la France ou d’Italie ont toutes les probabilités de s’assécher et de disparaître, on pense que plus on ira vers le Nord, moins les tourbières seront affectées par le réchauffement climatique. Certaines, bénéficiant de conditions plus douces, seront peut-être même plus fixatrices de CO2 que par le passé… »
Edward Mitchell souligne par ailleurs que l’assèchement aurait plus de répercussions négatives sur les écosystèmes que le réchauffement. « Le réchauffement à + 1 ou + 2 °C ne serait pas à lui seul un facteur déterminant, mais si le régime des précipitations baisse, surtout pendant l’été, cela deviendrait dramatique. »
Article extrait du dossier « + 2 °C ? » paru dans le numéro 261 de novembre-décembre 2015 du journal en direct.