Lucien Febvre
Université de Franche-Comté
Auteur 
Catherine Tondu

L'histoire selon Lucien Febvre

Sa vision moderniste a fait changer, non pas le cours de l’histoire, mais bien la façon de considérer cette discipline. Lucien Febvre (1878-1956), Comtois d’origine et de cœur, lègue aujourd’hui son nom au Laboratoire des sciences historiques de l’université de Franche-Comté. Le tout nouveau Centre Lucien Febvre rend ainsi hommage au brillant universitaire et à sa contribution essentielle aux fondements de l’historiographie contemporaine.

« Nous ne sommes point, Comtois, des conformistes. Courbet ne l’était guère, ni Pasteur, ni Proudhon ne le sont. » Et Lucien Febvre, qui signe cet éloge, pas davantage. Historien révolutionnant l’histoire par la nouvelle lecture qu’il en propose, prônant l’interdisciplinarité un siècle avant qu’elle soit à la mode, Lucien Febvre se place dans la fière lignée comtoise, lui que le hasard fait naître à Nancy en 1878 quand le berceau familial est jurassien. C’est là d’ailleurs, à Saint-Amour, qu’il décède en 1956 et repose depuis.

C’est pour lui rendre hommage que le Laboratoire des sciences historiques de l’université de Franche-Comté a décidé de changer son nom pour emprunter celui de l’illustre historien. Le laboratoire endossera dès le mois de mars cette nouvelle identité, bien en phase avec sa propre personnalité et ses projets de recherche, en partie basés sur l’histoire des idées. Une identité qui évoque par ailleurs son appartenance à un territoire.

Rappelons que Lucien Febvre est l’auteur, entre autres ouvrages consacrés à la région, de Philippe II et la Franche-Comté, issu de sa thèse soutenue en 1911, et qui fait toujours référence. La même année paraît Notes et documents sur la Réforme et lInquisition en Franche-Comté, rejoint en 1912 par une Histoire de la Franche-Comté portant sur une période plus large. « Lucien Febvre était un spécialiste du XVIe siècle, se passionnait pour l’évangélisme, la Réforme et l’humanisme, rappelle Hugues Daussy, comme en témoignent ses écrits sur Luther ou Marguerite de Navarre. »

Fondateur de l'historiographie contemporaine

Outre leur apport à l’histoire, les travaux de Lucien Febvre ont contribué de façon décisive à l’évolution d’une discipline jusqu’alors très factuelle, connue sous le nom d’« histoire méthodique ». Selon Lucien Febvre, l’histoire doit au contraire interpréter et expliquer. Ce courant de pensée fait le lien entre l'histoire et les sciences sociales dans une réflexion globale, une conception novatrice donnant naissance à l’historiographie contemporaine. « Mais on n’associe pas toujours à ce courant de pensée le nom de son précurseur », regrette Hugues Daussy.

Lorsque Lucien Febvre quitte Besançon en 1911, il a obtenu son agrégation, enseigné au lycée Victor Hugo, et vient de soutenir sa thèse sur Philippe II. Après trois ans passés à l’université de Dijon, il rejoint celle de Strasbourg qu’il investit de 1919 à 1933, et où il rencontre le médiéviste Marc Bloch, qui partage ses conceptions de l’histoire. Ensemble, et pour diffuser leur courant connu sous le nom d’« École des annales », ils créent les Annales d’histoire économique et sociale en 1929, une revue que Lucien Febvre dirige jusqu’à sa mort en 1956. « Mais la mémoire collective retiendra plus volontiers le nom de Marc Bloch, juif et résistant, fusillé en 1944, dont la fin tragique a marqué les esprits », relate Hugues Daussy.

L’œuvre de Lucien Febvre n’en reste pas là. En 1947, alors qu’il est professeur au Collège de France, il fonde, avec son confrère Fernand Braudel, la sixième section de l’École pratique des hautes études (EPHE), qu’il dirige là-aussi jusqu’à sa mort, et qui pour la première fois réunit sciences économiques et sociales dans une même institution. En 1975, près de vingt ans après la disparition de Lucien Febvre, cette section allait donner naissance à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), dont Febvre fut en quelque sorte l’initiateur, bien que le nom de Braudel, qui lui a survécu, reste de préférence attaché à cette institution. Aujourd’hui Lucien Febvre donne son nom au laboratoire d’histoire de l’université de Franche-Comté qui le portera fièrement, à la suite de la bibliothèque universitaire de Belfort et du collège de Saint-Amour.

Le Centre Lucien Febvre, une histoire de famille universitaire

Le Centre Lucien Febvre a été officiellement inauguré lors du colloque « Lucien Febvre, de la Franche-Comté au Collège de France », organisé à Besançon les 9 et 10 mars « en présence de Jean-François Chanet, recteur de l’académie de Besançon ». Si la formule est d’usage, elle se complète cependant ici d’une particularité : ayant lui-même effectué des recherches sur l’œuvre de Lucien Febvre, Jean-François Chanet était là également à titre d’historien, et a donné une conférence intitulée « Les combats de Lucien Febvre pour l’enseignement de l’histoire ». Toujours du côté des intervenants, l’historien Philippe Joutard a lui aussi été recteur de l’académie de Besançon (1989-1992). Président de l’Association pour la recherche autour de Lucien Febvre, il garde de nombreux contacts avec la famille de l’historien comtois, laquelle se tenait aux côtés de la famille spirituelle du grand universitaire en ces jours d’hommage. Archives et correspondances inédites, ébauches d’ouvrages restés à l’état de notes, cours donnés au Collège de France… la journée d’études du 10 mars a vu les interventions des spécialistes truffées d’éclairages passionnants sur la carrière de Lucien Febvre.

Article publié dans le numéro 269 de mars 2017 du journal en Direct.

Contact

Hugues Daussy
Centre Lucien Febvre
03 81 66 54 33
hugues.daussy@univ-fcomte.fr

Centre Lucien Febvre

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