Expériences ouvrières et désindustrialisation en France depuis les années 1960
7 Juin 2019
Quatrième séance d’un séminaire consacré aux mouvements sociaux et syndicalismes des années 1960 aux années 2000, avec Marion Fontaine, enseignante-chercheuse en histoire à l’université d’Avignon, Guillaume Gourgues, maître de conférences en sciences politiques à l’université de Lyon., et Jens Beckmann, Zentrum für Zeithistorische Forschung Potsdam, Allemagne.
Jean-Paul Barrière, professeur d’histoire au Centre Lucien Febvre, organise un séminaire en quatre séances dans le cadre de son projet de recherche « Mouvements sociaux, syndicalismes et territoires dans les mutations économiques (années 1960 - années 2000) ».
Intervention de Marion Fontaine : « Pourquoi n'y-t-il pas eu de “1984” en France ? Conflits sociaux et politisation dans les mines françaises (années 1970-début des années 1980) »
A l'inverse d'autres secteurs industriels (de Lip à la sidérurgie en passant par l'automobile) et d'autres configurations nationales (la Grande-Bretagne), les mines françaises, au cours du basculement des années 1970, ne sont pas le théâtre de grands conflits sociaux d'ampleur nationale. Il s'agira de comprendre les raisons de paradoxe, d'autant plus flagrant quand on connaît la tradition de mobilisation des mineurs, et en même temps de se demander, en faisant varier les échelles, ce qui se joue derrière ce calme, en partie trompeur.
Intervention de Guillaume Gourgues : « Pourquoi ont-ils tué Lip ? De la victoire ouvrière au tournant néolibéral »
En 1973, les ouvrières et ouvriers de l’usine horlogère Lip à Besançon s’opposent aux licenciements qu’on leur promet : occupation, confiscation du stock de montres, redémarrage partiel de la production, organisation des premières paies ouvrières. En mars 1974, au terme d’un conflit au retentissement mondial, devenu un véritable mythe du mouvement social, leur entreprise redémarre, relancée par un consortium d’actionnaires emmené par Antoine Riboud et soutenu par l’État. Les licenciements sont évités. C’est la victoire ouvrière. Mais deux ans plus tard, c’est la faillite. Ceux qui avaient relancé Lip accusent alors Claude Neuschwander, qu’ils avaient placé à la tête de l’entreprise, d’en être le principal responsable. Celui-ci clame pourtant haut et fort que la décision de liquider Lip est un choix politique : le patronat et l’État ont-ils délibérément interrompu la relance ? Ont-ils tué Lip et, si oui, pourquoi ? Cette contribution propose de suivre l’hypothèse d’une mise à mort politique de l’entreprise horlogère, en la réinscrivant dans un tournant néolibéral qui la dépasse et l’explique. Engagés dans un travail commun, explorant des séries d’archives inédites, Claude Neuschwander et Guillaume Gourgues, chercheur en science politique, ont retracé méticuleusement cet épisode majeur de l’histoire du capitalisme français qu’a été la relance de Lip. Considérer la fin de Lip comme le résultat d’une stratégie délibérée débouche sur une lecture nouvelle de l’ordre néolibéral actuel qui s’enracine précisément dans cette seconde moitié des années 1970. Le fonctionnement de l’économie se fonde largement sur des choix politiques, et les licenciements n’ont pas toujours été considérés comme une inévitable loi du marché ou une variable d’ajustement nécessaire de la compétitivité des firmes.
Intervention de Jens Beckmann : « Entre management et communauté : les coopératives issues de Lip et les pouvoirs publics »
Dès le milieu des années 1970 les procédures pour le traitement des faillites d’entreprises se sont multipliés. Fonds de restructurations industrielles et plans sociaux ont été les résultats de la forte conflictualité dans les établissements après 1968. La reprise ouvrière des usines s’est banalisée vers la fin des années 1970. L’état et les patrons cherchaient des voies plus consensuelles pour la reconversion ou la fin des entreprises, les syndicats à éviter des “conflits longs”, même si les objectifs des protagonistes divergeaient. Dans le cas de Lip, où plusieurs coopératives ont vu le jour après 1976, il s’agit de tracer les interactions entre ce développement et la conflictualité interne dans ces entreprises jusqu’à la fin des années 1980. L’intégration des coopératives dans la politique locale et leurs relations avec la politique du gouvernement (de gauche après 1981) seront expliquées et ensuite discutées.
L’action de recherche « Mouvements sociaux, syndicalismes et territoires dans les mutations économiques (années 1960 - années 2000) » est soutenue par la Région Bourgogne-Franche-Comté et s’inscrit dans la programmation scientifique du Centre Lucien Febvre et de la MSHE Ledoux.
Horaires
De 13h30 à 18h.
Lieu
- MSHE – Maison des sciences de l'homme et de l'environnement Claude Nicolas Ledoux
1 rue Charles Nodier
25000 Besançon