Ancrages matériels, imagination diagrammatique et publication encyclopédique

28 Novembre 2019 - 29 Novembre 2019

Colloque organisé dans le cadre de la FR-Éduc de l’Inspé Besançon par Sophie Audidière, Sarah Carvallo, Laurence Dahan-Gaida, Fabien Ferri, Arnaud Macé, Stefan Neuwirth, Julien Pasteur et Carole Widmaier.

ancrages-materiels
Jacky Frossard

La notion d’« ancrage matériel » (Hutchins 2005) désigne une structure matérielle prêtant sa forme à une structure conceptuelle : ainsi la queue chez le boulanger est le support matériel d’une intégration conceptuelle (« conceptual blend », Fauconnier & Turner 2002), entre une ligne et une flèche (« trajector »), qui permet de savoir qui fait partie de la queue et qui est le prédécesseur et le successeur de chaque participant.

En tant que mode majeur de l’avènement de la pensée dans l’intuition, via un support d’inscription, le diagramme peut être envisagé comme une « technologie intellectuelle » (« intellectual technology », Bell 1973) au principe d’une opération morphogénétique : vecteur de la pensée et médiateur de l’action, il consiste à esquisser une idée qui se cherche à travers différents gestes et différents tracés, avant de prendre forme dans les figures passagères d’une formation plus large qui les intègre et les dépasse toutes. Trace d’une séquence de gestes qu’il ne fait pas apparaître mais qu’il symbolise et comprime, le diagramme est aussi attente et tension vers une autre série de gestes qu’il suggère mais qu’il ne détermine pas : c’est pourquoi Gilles Châtelet parlait à son propos de « stratagème allusif » (Châtelet 1993).

Dès lors il est possible de reposer la question du schématisme, c’est-à-dire celle de l’articulation entre concepts et intuitions, à partir de la prise en compte d’une médiation, le support d’inscription, en tant qu’il constitue l’ancrage matériel d’une imagination diagrammatique : car à sa surface sont simultanément manipulés dans un « espace combinatoire » de symboles (Cavaillès 1938) 1° la littéralité des concepts mobilisés et 2° la forme des contenus immédiatement figurés. Par le truchement du diagramme, la généralité devient intuitive pour les sens, et le concept, incarné. Dès lors un tel constat ne vient-il pas inquiéter l’opposition entre intuition et déduction, manipulation concrète et raisonnement abstrait, travail manuel et travail intellectuel, science de la nature et science de la culture ?

Une description des pratiques à même le support d’inscription du savoir ouvrirait ainsi la possibilité d’une explicitation des conditions de possibilité d’une expérience symboliquement éprouvée, collectivement partagée et partageable. Mieux : celle des conditions générales d’appropriation des contenus de la connaissance véhiculés par ces médias que sont 1° le support d’inscription du savoir et 2° les outils graphiques qu’il supporte.

L’enjeu, c’est celui de la constitution d’un langage graphique de publication du savoir-faire. Car publier, c’est mettre au grand jour pour que tous puissent voir l’objet sacré qu’est l’objet du savoir (Simondon 2016) ; et c’est dévoiler la manière dont cet objet se fait à travers un langage de figuration universel pour que tous puissent se l’approprier.

Nous faisons l’hypothèse que les diagrammes forment un langage composé de signes graphiques non verbaux. Ce « système symbolique » (« symbolic system », Goodman 1968) forme le support d’une « raison » qui n’est plus seulement « graphique » (Goody 1979), mais aussi « visuelle » (Lelarge 2010). L’hypothèse de ces journées est que les diagrammes peuvent devenir les organes de publication d’une encyclopédie sociale œuvrant à la démocratisation de la connaissance et offrant un supplément d’intelligibilité qu’il s’agit de caractériser.

Contact

Laboratoire Logiques de l'agir