Portrait de Laetitia Ogorzelec-Guinchard
Ludovic Godard
Auteur 
Delphine Gosset

Le médecin, l’Eglise et le miracle

Une jeune chercheuse en sociologie a développé une approche inédite des guérisons miraculeuses à Lourdes. Elle s’est intéressée aux enquêtes et aux expertises médicales réalisées dans le cadre de leur reconnaissance officielle par l’Eglise. Ses travaux lui ont valu de remporter une récompense prestigieuse.

Laetitia Ogorzelec est une jeune chercheuse du Laboratoire de sociologie et d’anthropologie de l’UFC. La thèse qu’elle a soutenue en 2012 a été remarquée par le jury du prix « Le monde » de la recherche universitaire. Le célèbre quotidien récompense chaque année plusieurs études scientifiques pour l’originalité de leur thématique et de leurs méthodes. C’est précisément ce qui caractérise le travail de cette sociologue. Le sujet, tout d’abord : celui des les dossiers d'enquête menées par le clergé sur les miraculés de Lourdes. L’approche, ensuite, car pour mieux cerner son objet de recherche, elle a fait appel à une perspective historique, offrant un point de vue tout à fait nouveau sur une question qu’on pense généralement relever du domaine de la religion ou du folklore.

Un point de vue nouveau sur les miraculés de Lourdes

Petit retour en arrière : si, dès le XIème siècle, l’église exprime le besoin de vérifier l’authenticité des miracles, c’est surtout, à partir de 1858, suite aux « apparitions » et « guérisons » de Lourdes que cette volonté d’investigation se précise et se structure. Pourquoi ? Parce qu’à cette période, l’administration impériale et le clergé craignent la foule pour son caractère potentiellement révolutionnaire et ressentent le besoin de la canaliser. Laetitia Ogorzelec a emprunté la casquette de l’historienne pour rentrer dans le secret des archives et étudier l’attitude de l’Eglise et de l’Etat face au désordre potentiel lié à l’affluence spontanée de milliers de personnes vers la grotte de Lourdes. Elle met en évidence un processus complexe, réunissant des acteurs hésitants, dans lequel on finit par instaurer une procédure d’enquête destinée à valider officiellement certains cas de « guérison spontanée » afin de faire taire les rumeurs. Dans cette investigation, le rôle joué par les médecins, en tant qu’experts, devient crucial. Laetitia Ogorzelec remarque que la création, en 1883, d’une instance médicale permanente impliquée dans la procédure de reconnaissance des miracles, survient probablement en réponse au succès des travaux de Charcot et de l’école de la Salpétrière sur l’hystérie. Les médecins du sanctuaire sont en effet explicitement chargés de faire la différence entre les guérisons dites « hystériques » et les guérisons « inexplicables ».

Quand on demande aux médecins de garantir l’inexplicable

La jeune chercheuse s’est intéressée à la façon dont le miracle peut être considéré, d’un point de vue sociologique, comme une construction collective. Sur les 68 dossiers des miraculés de Lourdes auxquels elle a réussi à avoir accès, elle a choisi de ne présenter en détail dans son manuscrit que l’analyse de deux cas extrêmes entre lesquels se distribuent tous les autres dossiers. Il s’agit d’un cas qu’elle qualifie de « conforme », celui de Jeanne Frétel, qui obtient relativement vite le consensus général, et du cas le plus difficile : celui de Jean-Pierre Bély. L’analyse fine du déroulement de ces enquêtes et des échanges auxquels elles ont donné lieu lui a permis d’élucider le fonctionnement de la procédure de reconnaissance des miracles et le rôle de ses principaux acteurs : témoins, médecins et  ecclésiastiques… Laetitia Ogorzelec a notamment mis en évidence des phénomènes de concurrence et une division du travail parfois incertaine. L’activité des médecins n’a rien d’évident, comme en témoigne la réflexion constante qu’ils mènent sur leur propre rôle. La sociologue remarque d’ailleurs que depuis que la médecine, assume ses incertitudes (contrairement à celle XIXème qui se revendiquait « science exacte »), l’officialisation des « guérisons miraculeuses » devient problématique. 

En étudiant l’un des rares domaines où des rapports nuancés entre science et religion se sont établis, elle a montré que le miracle est un objet complexe qui synthétise de nombreux intérêts et de nombreuses contraintes. « Dans le contexte actuel où les croyances se veulent de plus en plus offensives, la connaissance des composantes politique, religieuse, scientifique de cet objet peut être précieuse pour mieux comprendre les enjeux du retour religieux qui semble marquer notre époque », conclut–elle.

Contact

Laetitia Ogorzelec-Guinchard
Laboratoire de sociologie et d'anthropologie de l'UFC
03 81 66 53 39
laetitia.ogorzelec@univ-fcomte.fr
http://lasa.univ-fcomte.fr


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