Vieux déguisé en tagger.
Ludovic Godard
Auteur 
Delphine Gosset

Un certain regard sur le grand âge

Vieillir est mal perçu dans une société qui se focalise sur la jeunesse et la performance. Un médecin spécialiste de l’éthique et une sociologue de l’UFC analysent nos stéréotypes culturels et leurs conséquences. Propos croisés.

Le vieillissement évoque souvent l’image de personnes âgées décrépites,malades et dépendantes, une réalité qui ne concerne pourtant qu’une minorité d’entre elles (environ 5 %). Ce tableau effrayant marque cependant les esprits. Comme la vieillesse fait peur, on cherche à l’enrayer par une prise en charge médicale. « Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la médecine a été tellement porteuse d’espoir qu’on en a presque nié la finitude de l’homme et, avec elle, le vieillissement lui-même », constate le docteur Régis Aubry. Isabelle Moesch, sociologue, renchérit « Si on cherche à guérir le vieillir, c’est, en quelque sorte, pour guérir le mourir ».

La France fait partie des pays européens qui ont particulièrement médicalisé leur approche du vieillissement. Plus on vieillit, plus on passe de temps à l’hôpital. Or, c’est une institution, avec ses règles qui ne laissent pas toujours suffisamment de place aux proches, ni aux rituels qui pourraient leur être utiles. Aux Pays Bas, au contraire, la fin de vie se déroule à domicile. « Dans les sociétés du nord de l’Europe, malgré un individualisme marqué, l’approche du vieillissement est différente. L’homme a intégré sa propre finitude dans son schéma de vie » affirme Régis Aubry.

Nous vivons dans une société qui a rompu avec l’idée que la mort faisait partie d’un cycle. « On parle de fin de vie comme s’il n’y avait plus rien ensuite. On ne pense plus en termes de transmission » regrette Isabelle Moesch. Pourtant, les personnes âgées ont accumulé de l’expérience, dont elles ont tiré des leçons et des capacités d’analyse. Il y a un sens à vieillir, même si peu de rituels marquent encore les différentes étapes de la vie comme autant de pas vers la sagesse.

Seule image en vogue actuellement, celle de vieux à l'aspect jeune et dynamique...

« En Afrique, plus l’individu vieillit, plus il est sage et plus on le respecte, même s’il est dément ! » raconte Régis Aubry. La culture de la rapidité et de la performance qui imprègne la société actuelle laisse peu de place aux personnes âgées chez qui le vieillissement s’accompagne d’un ralentissement du corps et parfois de l’esprit. Seule image en vogue actuellement, celle de vieux à l’aspect jeune et dynamique… Cette vision optimiste d’une vieillesse active n’est toutefois pas envisageable pour chacun. « Il ne faut pas que ce modèle devienne un diktat, sous peine d’exclure beaucoup d’individus » prévient Isabelle Moesch.

Dans une société où la valeur de l’homme est étroitement liée à sa capacité à produire, la dérive utilitariste n’est pas loin. Le spécialiste de l’éthique met en garde : « Quand il va falloir assurer un niveau de vie digne à des retraités dont le nombre va bientôt égaler celui des actifs, dans un monde soumis à des contraintes économiques majeures, le risque d’ostracisme à l’égard des vieux, jugés non-utiles, est grand ».

En ce qui concerne la politique menée à l’égard des personnes âgées en situation de perte d’autonomie, Isabelle Moesch juge stigmatisant le choix même du terme de « dépendance », alors que la plupart des pays de l’OCDE raisonnent en termes de soutien à l’autonomie. « Le japon va plus loin en parlant tout simplement de solidarité, sans distinguer, d’ailleurs, le vieillissement du handicap », déclare-t-elle.

Régis Aubry conclut « en concentrant les personnes âgées dans des lieux spécialisés, on est en train de créer une nouvelle norme : celle de l’exclusion. Or, il est important que la vieillesse, et même la mort, soient présentes aux yeux des enfants : elles donnent du sens à la vie ».

Contact

Portrait d'Isabelle Moesh
Portrait de Régis Aubry

Articles relatifs