Un homme en costume dans un bureau sombre avec un sace en papier sur la tête et un sourire dessiné sur le sac.
Ludovic Godard
Auteur 
Delphine Gosset

Travail et stress

Le travail a des retentissements sur le moral des individus. Didier Truchot, professeur de psychologie sociale, étudie le stress et les phénomènes d'épuisement professionnel, mais aussi les possibilités d'épanouissement au travail. Les résultats de ses travaux vont parfois à l'encontre des idées reçues. Entretien.

Quel est l'objet de vos recherches ?

J'étudie, depuis une dizaine d'années, les effets positifs et négatifs du travail sur la santé physique et psychologique des individus. Je me suis intéressé à des groupes professionnels très différents : opérateurs d'usine, chefs d'entreprise, commerçants, médecins, travailleurs sociaux... Tout le monde peut rencontrer des problèmes de stress au travail. Dans certains métiers, c'est une question taboue, alors que dans d'autres, afficher son stress revient
à faire preuve d'une grande conscience professionnelle.

Quel est l'impact psychologique du travail ?

Quand il se passe bien, le travail peut être un formidable vecteur d'épanouissement personnel. Au travail, on trouve l'occasion d'exercer ses compétences, on a le sentiment d'exister, on développe une estime de soi. C'est aussi un lieu de socialisation où l'on fait toutes sortes de rencontres. A l'inverse, des situations professionnelles difficiles peuvent affecter énormément l'individu, avec des retentissements sur sa vie privée.

Qu'est-ce qui est stressant au travail ?

Ce n'est pas toujours la charge de travail. Si vous avez les moyens d'y faire face, vous n'allez pas forcément être stressé. Mais si vous n'avez plus les ressources pour répondre aux exigences de votre situation, vous allez éprouver du stress. Se retrouver sans contrôle sur son environnement et dans l'impossibilité de prédire ce qui va se passer est également très perturbant. Imaginez ce que vivent les personnes que l'on appelle chez elles à tout moment pour leur annoncer qu'elles travaillent dans une demi-heure ! Être contraint d'afficher des émotions qui ne sont pas celles que l'on ressent est également source de stress. Or, c'est souvent le cas dans les emplois de service et de contact.

Quels sont les symptômes du stress ?

Le stress chronique peut avoir de nombreuses manifestations physiques : maux de ventre, céphalées, douleurs sans causes apparentes, inflammations articulaires, désordres métaboliques (diabète, cholestérol, hypertension...). Au niveau psychologique, il peut conduire à des états proches de la dépression, avec une profonde tristesse, une incapacité à contrôler ses émotions, des pleurs... Le stress est à l'origine d'addictions au café, à l'alcool, aux psychotropes. Il suffit d'observer la consommation d'alcool dans les restaurants le midi pour s'en rendre compte ! La question reste taboue, mais aucune profession n'est épargnée.

Jusqu'où le stress peut-il aller ?

Le stress chronique, avec accumulation répétée et prolongée de petites contrariétés, peut, à son stade le plus élevé, déboucher sur un phénomène d'épuisement professionnel, également appelé burn-out. Complètement débordé par l'ensemble des stresseurs, l'individu ressent une fatigue chronique
très importante. Il se désinvestit de son travail et devient cynique vis à vis des autres. C'est un mécanisme de défense. A ce stade, il est urgent de consulter, car le burn-out précède souvent un état de forte dépression. Malheureusement, beaucoup de médecins ne sont pas formés pour reconnaître ces états d'épuisement professionnel.

Comment soigner le stress au travail ?

La prise en charge est trop souvent individuelle, qu'elle soit médicale, avec par exemple un traitement anti-dépresseur, ou d'une autre nature. La sophrologie, la relaxation, les méthodes de gestion du stress sont très à la mode actuellement. Or, les causes du stress dépendent souvent des conditions et de l'organisation du travail. Si vous êtes stressé et que l'on vous propose une prise en charge individuelle pour vous remettre ensuite dans les mêmes conditions, cela ne résoudra pas le problème. Vous continuerez à être stressé. Mais comme on considérera que l’on a fait quelque chose pour vous, on vous blâmera alors que vous ne serez qu'une victime ! Il est vrai que certains individus sont psychologiquement plus fragiles que d'autres et donc plus susceptibles de succomber au stress, mais alors, que faut-il faire ? Les détecter lors des tests d'embauche pour les exclure du recrutement ? Ne vaut-il pas mieux considérer que le travail est un lieu de socialisation où même les individus les plus névrosés peuvent trouver leur place et s'épanouir ?

Y a-t-il des métiers plus stressants que d'autres ?

Sans doute, mais pas pour les raisons qui paraissent évidentes à première vue. Nous avons mené une enquête nationale dans des services hospitaliers en cancérologie, auprès de l'ensemble du personnel : médecins, infirmiers, aides-soignants, secrétaires, techniciens... Il s'avère que les gens sont beaucoup plus stressés par les conflits entre collègues, par la charge de travail, par l'impact négatif de changements organisationnels ou par le poids de l'institution que par la confrontation à la douleur et à la mort. Si celle-ci est difficile à supporter et produit de la fatigue émotionnelle, elle n'est cependant pas à l'origine des phénomènes d'épuisement professionnel. C'est au contraire ce qui donne tout son sens à leur travail ! Il en va de même pour les pompiers. Ils ne sont absolument pas stressés par le danger, ou par le fait de devoir aller désincarcérer des personnes accidentées dans une voiture. Il y a des effets d'auto-sélection dans le choix d'une profession. Les gens sont généralement préparés aux stresseurs caractéristiques de leur métier.

Le stress rend-il les individus plus productifs ?

On pourrait le penser, mais c'est tout le contraire. Le stress est responsable, directement ou indirectement, d'une grande part des absences au travail. Il favorise les conflits entre collègues. Quand quelqu'un est stressé, il travaille moins bien, il se désengage. Le stress influence aussi les prises de décision. Nous avons étudié ce phénomène auprès de médecins. Nous leur avons demandé de choisir le mode de prise en charge d'une personne âgée victime d'une fracture du col du fémur. Les généralistes les plus stressés ont tendance à opter pour le placement en maison de retraite, plutôt que pour des soins à domicile qui supposeraient qu'ils continuent à assurer le suivi médical. Autrement dit, ils font les choix thérapeutiques qui les impliquent le moins. C'est une façon de mettre à distance les problèmes.

Comment s'épanouir au travail ?

Si les exigences professionnelles peuvent s'avérer stressantes, l'absence d'exigences n'est pas une solution. La situation des gens qui sont mis « au placard », par exemple, est très difficile. Je mène actuellement avec un collègue hollandais une étude qui montre que les individus qui ont la possibilité de s'engager dans leur travail sont ceux qui vont le mieux. Un travail motivant,
dans lequel on peut exercer ses compétences, dans une ambiance d'équipe, peut être tout à fait épanouissant. Mais, pour cela, il est indispensable d'avoir
le soutien de ses collègues et supérieurs hiérarchiques, des relations équilibrées au travail, et un certain contrôle sur sa propre situation. Il faut aussi pouvoir donner du sens à ce que l'on fait, cela peut même aider à supporter des tâches pénibles. Mais il n'est pas rare que le travail ne réunisse pas ces conditions.

Le travail est-il plus stressant de nos jours ?

On ne sait pas ! Aucune étude n'a été menée sur le sujet. Cependant, l'importance que revêt le travail dans la vie d'un individu a changé. Les destinées professionnelles ne sont plus une fatalité acceptée pour des raisons d'ordre familial ou social. On a, dans une certaine mesure, le choix de son travail, mais celui-ci est plus rare. Il est valorisé, il prend une part plus importante dans l'identité de l'individu, mais la recherche de l'épanouissement personnel à travers le travail devient presque une contrainte. Avant, le travail permettait de perpétuer les valeurs d'un groupe. De nos jours, avec la prédominance des valeurs individuelles, l'autre est plus souvent perçu comme un compétiteur que comme un soutien. Il y a plus de solitude au travail.

Contact

Didier Truchotdidier.truchot@univ-fcomte.fr
Laboratoire de psychologie
UFR SLHS
http://slhs.univ-fcomte.fr

Portrait de Didier Truchot

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