Un homme en costume dans un bureau sombre avec un sace en papier sur la tête et un sourire dessiné sur le sac.
Ludovic Godard
Auteur 
Catherine Tondu

Travail et idéal

Le profil idéal du travailleur ? Autonome, performant, autosuffisant, compétent, doté des bonnes ressources pour réussir. En quelques mots clés, ce portrait correspond à s’y méprendre à celui de l’être humain tel qu’on l’envisage dans les sociétés occidentales. Au point d’en oublier que les ressources de l’homme ont leurs limites, et que le travailleur évolue dans un contexte.

« Lorsque l’employé est dépassé par des exigences supérieures à ses ressources personnelles et aux possibilités que lui offre l’organisation dans laquelle s’inscrit son travail, un déséquilibre se crée, explique Florent Lheureux, enseignant-chercheur en psychologie sociale du travail à l’université de Franche-Comté. L’individu régule la situation en général en puisant dans ses ressources, en se montrant par exemple plus disponible, en travaillant le soir, en répondant à ses mails le week-end ou encore en accroissant sa productivité horaire… »

Quand ce déséquilibre devient chronique, l’individu s’essouffle et entre dans une spirale infernale avec l’épuisement, le fameux burn out, en bout de course. « À force de tenter de satisfaire le " toujours plus, avec toujours moins de moyens ", le travailleur n’a plus rien à donner. En prime la double peine : il est jugé responsable de sa situation, car non-conforme à l’idéal social. » Investis par un sentiment de responsabilité socialement inculqué, les employés, quel que soit leur niveau d’emploi, ont tendance à sous-estimer voire à ignorer les circonstances qui peuvent objectivement amener à craquer, et à surestimer le rôle des motivations, compétences et aptitudes personnelles.

Dans une entreprise ou une organisation, le soutien social est d’une importance capitale, qu’il s’agisse de donner un coup de main et un peu de son temps pour aider un collègue en difficulté, de mettre du matériel à sa disposition de le faire bénéficier de son réseau, ou,dans le registre de l’humain, de l’écouter ou de lui prodiguer des conseils.

Mais, inconsciemment imprégnés de la culture de l’excellence individualiste que valorisent nos organisations, nous avons tendance à n’accorder ce soutien qu’aux collègues jugés méritants et compétents, c’est-à-dire satisfaisant les exigences imposées sans jamais se plaindre ni manifester de « faiblesse ».

À partir de quel moment le jugement prévaut-il par rapport à l’empathie ? « Dès lors que l’on inculque aux personnes que la capacité de chaque individu à être rentable est plus importante que sa propension à se lier positivement aux autres. » Florent Lheureux, aidé de ses étudiants en master, a réalisé des études expérimentales innovantes mesurant le jugement social porté sur les personnes en situation de stress.

Il en résulte que les symptômes de stress et de burn out sont associés à un jugement social négatif et à un plus faible recours au soutien des collègues. Un résultat paradoxal d’autant plus dérangeant qu’il est statistiquement fortement marqué. « Lorsque les symptômes de stress et d’épuisement sont faibles, les collègues évaluent positivement la personne concernée, et lui accordent plus spontanément leur soutien », raconte Florent Lheureux. Dès que ce niveau de stress augmente, et a fortiori lorsqu’il atteint le stade du burn out, l’entourage, au mieux ne se prononce pas, au pire porte un jugement négatif, d’autant plus si les compétences et les capacités propres à cette personne sont mises en cause.« Vécu d’une situation difficile, jugement social et crainte de ce jugement… Pour inverser la tendance et sortir du cercle vicieux, la solution réside dans la déconstruction des mythes de la performance et du travailleur parfait », conclut Florent Lheureux.

Article paru dans le dossier thématique intitulé Le travail en mots paru dans le numéro 275 de Mars 2018 du journal en Direct.

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