Partie 1 L'expo de la mort qui tue Fabrikà
Nicolas Waltefaugle
Auteur 
Elodie Mereau

L'interview de la mort qui tue : méduse immortelle ?

Cette semaine, nous vous invitons à percer les mystères de la vie éternelle.

Si vous pouviez vous promener dans L'expo de la mort qui tue * , la « timeline de la mort » vous aiguillerait sur les durées de vie de différents animaux, dont un plutôt original : Turritopsis dohrnii ! Drôle de nom pour cette espèce de méduse qui réserve bien des surprises puisqu’elle serait potentiellement immortelle… Mais l’est-elle vraiment ?
Pour mieux comprendre ce phénomène « d’immortalité », nous avons interrogé Guillaume Marchessaux, attaché temporaire d’enseignement et de recherche à l’université de Franche-Comté (Laboratoire Chrono-environnement UMR 6249 CNRS) et docteur en Sciences de l'environnement, Océanographie.

Pouvez-vous vous présenter rapidement ?

Je travaille principalement sur les espèces exotiques envahissantes de zooplancton crustacé et gélatineux. J’ai fait une thèse sur l’impact d’un gélatineux invasif Mnemiopsis leidyi à Marseille et je travaille actuellement ici en Franche-Comté sur la méduse invasive d’eau douce Craspedacusta sowerbii.

Que pouvez-vous nous dire sur Turritopsis ?

Découverte en 1883, Turritopsis dohrnii est une méduse de petite taille (1 cm de diamètre) qui fait partie de la classe des hydrozoaires. Cette méduse est pourvue d’une ombrelle jonchée de centaines de petits tentacules.
Cette méduse est originaire du Japon, on la retrouve également dans les eaux chaudes des Caraïbes ou encore en Méditerranée. Cette méduse pourrait paraitre inaperçue mais elle possède une faculté extraordinaire : l’immortalité.
Le secret de l’immortalité de Turritopsis demeure dans son cycle de vie. Comme la plupart des méduses, Turritopsis dohrnii présente deux phases dans son cycle de vie : une phase asexuée sous forme de polypes fixés, et une phase sexuée sous forme de méduses pélagiques. D’une manière générale, une méduse mâle et une méduse femelle rejettent dans l’eau leurs gamètes (ovules et spermatozoïdes). Après fécondation, cela donne naissance à un œuf qui formera une larve appelée planula. Cette planula va couler et se fixer sur un substrat dur (roche, coquilles de coquillages, béton, etc.). Cette larve va se différencier en polype. Ce polype va se nourrir grâce à la présence de tentacules autour de sa bouche et se multiplier par bourgeonnement, c’est-à-dire par clonage pour former de larges colonies pouvant atteindre des milliers de polypes. Généralement au printemps et en automne, lorsque la température de l’eau augmente (ou diminue) très rapidement (en quelques jours), les polypes vont former des bourgeons médusaires. Chaque bourgeon va former une nouvelle méduse qui une fois développée va se détacher et nager librement dans l’eau, c’est la phase sexuée pélagique.

Ce qui diffère des autres méduses, c’est que Turritopsis dohrnii ne meurt jamais. En effet, sous l’action d’un stress environnemental (changements de température, de salinité, manque d’oxygène, etc.) ou physique (blessure de l’ombrelle, etc.), Turritopsis entame une incroyable transformation. L’organisme dégénère, ses tentacules et son ombrelle se désagrègent. Les cellules libérées ne disparaissent pas mais vont se réorganiser pour redonner un nouvel organisme sous forme polype qui prolifèrent en colonie et qui donneront de nouvelles méduses. Ce processus porte le nom de transdifférenciation. Des chercheurs ont observé que ce processus pouvait intervenir à n’importe quel moment du cycle de vie et pouvait se produire plusieurs fois pour un seul individu.

La découverte de l’immortalité chez cette méduse a bouleversé la communauté scientifique et remis en question les processus de vie et de mort.

Depuis combien de temps les scientifiques étudient cette espèce sous-marine ?

L’immortalité chez Turritopsis a été découverte en 1996 par Stefano Piraino et ses collaborateurs de l’université de Naples (Italie) (lien vers l’article). Depuis cette découverte Turritopsis est beaucoup étudiée notamment au niveau génétique pour déterminer quel(s) gène(s) déclencherai(en)t ce processus de rajeunissement.

Est-ce la première espèce qui semble être immortelle où en connaissez-vous d’autres cas ?

Presque toutes les méduses sont immortelles dans un sens, puisque la majorité est capable de se cloner sous forme polype. De plus, la majorité des organismes gélatineux sont capables de régénération. Si on les coupe en deux, en quatre, ces derniers sont capables de se régénérer à partir de fragments. L’immortalité est très difficile à observer et démontrer, cela est connu chez Turritopsis mais il existe aussi d’autres espèces qui présentent une longévité à couper le souffle, qui pourraient vraisemblablement être immortelles. C’est le cas par exemple de la Posidonie qui est une plante marine qui pourrait survivre près de 100 000 ans. Certaines éponges marines peuvent aussi vivre jusqu’à 15 000 ans et se reproduire à partir d’une même cellule.

En quoi les recherches sur cette méduse sont-elles importantes pour le monde scientifique ?

Le vieillissement humain est unidirectionnel, c’est-à-dire que l’on naît avec des cellules jeunes qui sont programmées pour vieillir tout au long de notre vie au travers de différentes étapes de vie comme la puberté, la fin de la croissance, la ménopause, les rhumatismes etc. Chez Turritopsis, ce vieillissement est multidirectionnel, c’est-à-dire que les cellules de cette méduse vieillissent comme chez les humains mais qui, sous certaines conditions, sont capables de rajeunir.
Cette capacité de rajeunissement intéresse particulièrement la recherche médicale qui voit en cette espèce un espoir de traiter certains cancers en réduisant les tumeurs par exemple. Mais il y a également des recherches menées sur les questions de vieillissement cellulaire notamment chez l’humain ou encore en cosmétique.

Merci beaucoup, on vous laisse le mot de la fin ! …

La Nature nous cache encore bien des choses, préservons-la. Je terminerai par une citation de William Shakespeare « le désir d’immortalité est immense en moi ».  

 

 

*Pour continuer de faire vivre "L’expo de la mort qui tue" en ces temps troublés (à voir ou revoir à la Fabrikà lorsque le contexte sera plus favorable), le service sciences arts et culture de l’université de Franche-Comté vous propose une série de rendez-vous à retrouver sur le site de l’université. Que vous ayez vu ou non l’exposition, pas d’inquiétude, ces sujets sont inédits ou prolongent les pistes de réflexion qui y sont abordées.

Contact

Service Sciences, arts et culture - SAC

Cycle de vie de turritopsis
Turritopsis dhornii

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