Geneviève Chiapusio examine une plante.
Ludovic Godard
Auteur 
Delphine Gosset

Les plantes et leurs messagers chimiques

Les plantes ont à leur disposition tout un arsenal de molécules leur permettant d’interagir les unes avec les autres. L’étude de ces communications chimiques intéresse de plus en plus de chercheurs car elle offre des perspectives pour une agriculture plus propre.

Sous les noyers, on ne trouve que certaines espèces végétales car cet arbre produit de la juglone qui inhibe de manière sélective la croissance d’autres plantes. Les racines du sorgho sécrètent une substance, la sorgoléone, qui rend difficile la culture de l’arachide dans les mêmes champs. « Les plantes n’étant pas mobiles, la communication chimique représente un moyen essentiel pour interagir avec l’environnement, s’y adapter et survivre au milieu des autres organismes », explique Geneviève Chiapusio. Cette enseignante à l’UFR STGI et chercheuse au laboratoire Chrono-environnement s’intéresse à l’écologie chimique depuis plus de 15 ans. « On connaît plus de 200 000 molécules qui servent à la communication, mais il en existe beaucoup d’autres », précise-t-elle.

Tenir à distance

Les effets de ces molécules sont variés. L’épicéa, par exemple, fabrique des substances qui empêchent ses propres graines de germer, de sorte que ses plantules ne poussent qu’à une certaine distance de l’arbre. Les myrtilles sécrètent dans le sol de l’acide caféique, très toxique pour certaines plantes avoisinantes. C’est la raison pour laquelle elles forment de véritables tapis dans les sous-bois. « Généralement, quand on voit une espèce clairement dominante, c’est qu’un mécanisme chimique est en jeu », souligne Geneviève Chiapusio. La présence dans le sol de telles substances a même permis de comprendre les difficultés de régénération de certaines forêts de pins suédoises et d’y remédier par de nouveaux moyens : en l’occurrence, brûler le sol.

Il semble aussi que la prédominance des plantes invasives puisse être partiellement expliquée par l’efficacité de leur arsenal chimique. Les centaurées qui ont envahi les prairies nord-américaines émettent une série de molécules inconnues des plantes locales et contre lesquelles ces dernières n’ont pas eu l’occasion de développer de mécanismes de défense au cours de l’évolution.

L’équipe montbéliardaise du laboratoire Chrono-environnement a montré que même des plantes « primitives » comme les sphaignes (petites mousses des tourbières) produisent des composés phénoliques qui contribuent à assurer leur présence dans l’environnement en régulant la germination et la croissance d’autres espèces1. Ces phénols affectent aussi l’activité des champignons et des micro-organismes qui logent sur ces mousses.

En effet, la communication chimique ne s’effectue pas seulement de plante à plante, elle peut aussi cibler d’autres êtres vivants. Il existe de véritables symbioses entre les racines de la plupart des végétaux et des champignons2. Chaque espèce produit des molécules spécifiques (flavonoïdes) qui attirent le champignon avec lequel elle pourra réaliser la symbiose. Le champignon alimentera alors la plante en azote et en phosphore en échange de sucres.

Quand ils sont attaqués par des pucerons, le blé, le maïs ou le seigle produisent des acides hydroxamiques qui, en agissant sur la transmission nerveuse de ce parasite, ont un effet répulsif. Ces acides jouent également un rôle important dans la résistance de plusieurs variétés de céréales aux agressions de champignons et de bactéries. L’un des exemples les plus étonnants concerne une espèce d’Acacia africain qui, quand il est brouté par des antilopes (koudous), émet des molécules volatiles pour prévenir les arbres voisins. Ceux qui les reçoivent renforcent leurs défenses en produisant davantage de tanins qui donnent un goût amer à la feuille.

Vers une nouvelle agriculture?

Une plante soumise à des variations de température, de lumière, de fertilité des sols ou à divers stress et polluants réagit en conséquence et modifie sa communication chimique. « Les racines ne sécrètent pas les mêmes molécules que les feuilles, une jeune plante ne va pas produire les mêmes composés qu’une vieille plante, une même substance peut favoriser la croissance à certaines concentrations ou au contraire l’inhiber à d’autres… Les mécanismes sont complexes », observe Geneviève Chiapusio.

Il reste beaucoup à étudier et à comprendre dans le domaine de l’écologie chimique. Cette discipline suscite un regain d’intérêt considérable depuis quelques années en raison de ses applications prometteuses. Déjà pratiquée dans certains jardins, l’association de cultures permet d’exploiter ces propriétés pour diminuer l’usage des herbicides et pesticides. Dans les zones tropicales d’Asie, on trouve des variétés de riz qui éloignent naturellement les mauvaises herbes. Des tentatives de croisement avec des espèces qui ont un bon rendement sont en cours. On peut imaginer se débarrasser de la pyrale du maïs, un insecte ravageur, en produisant des bouquets odorants qui la détournent de sa cible. Beaucoup d’autres travaux sur les communications plantes-insectes ont des applications directes. Autant d’avancées qui ouvrent des pistes vers une agriculture plus propre.

  1. Ces travaux ont été réalisés sur le site expérimental de la tourbière de Frasne où les chercheurs étudient les interactions entre plantes pour mieux comprendre le fonctionnement de la tourbière, dans le cadre d’un projet plus global sur les effets du réchauffement climatique (ANR Peatwar et EC2CO-Bioefect-CNRS SphgaAndro).
  2. Ces symbioses entre les racines et les champignons concernent près de 90 % des plantes.

Contact

Geneviève Chiapusio
03 81 99 46 94
genevieve.chiapusio@univ-fcomte.fr

Laboratoire Chrono-environnement

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