Expo MQT Stèle funéraire Musée des Beaux-Arts et d'Archéologie de Besançon
Nicolas Waltefaugle
Auteur 
Elodie Mereau

Interview de la mort qui tue : En passant par les cimetières…

Œuvres d’arts à ciel ouvert, les cimetières regorgent de tombes et de tombeaux parfois surprenants par leurs décors et leurs architectures. En quoi sont-ils le reflet de nos sociétés et quels en sont les symboles et les représentations ? Historienne de l’art au Musée des Beaux-arts et d’Archéologie de Besançon et enseignante à l’université de Franche-Comté, Lisa Mucciarelli nous éclaire sur l’art funéraire du XIIIe siècle.

Pouvez-vous vous présenter rapidement ?

Je travaille au musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon sur les collections Beaux-Arts et la préparation des expositions temporaires pour lesquelles j’interviens à plusieurs niveaux (scientifique, renfort régie et coordination éditoriale). Depuis plusieurs années, j’enseigne également à l’université dans plusieurs modules de la licence d’histoire de l’art et d’archéologie en lien avec mes domaines de prédilection. Parmi ceux-ci, je consacre douze heures à l’art et l’architecture funéraires du XVe siècle au XXe siècle. Mes activités de recherche à l’heure actuelle sont partagées entre les arts décoratifs et la mort à Besançon au XVIIIe siècle dans le cadre d’un projet d’exposition. Depuis plusieurs semaines, je travaille plus précisément sur les pompes funèbres données dans la capitale comtoise au XVIIIe siècle en l’honneur de personnages importants (rois, reines, dauphins, archevêques, etc.).

En quoi consiste l'art funéraire depuis le XVIIIe siècle et pourquoi est-il important ?

L’art funéraire est protéiforme. Au XVIIIe siècle, il prend plusieurs aspects dans les couches supérieures de la société. Le faste du cérémonial se manifeste avec éclat dans les pompes funèbres organisées avant tout à Paris - à Notre-Dame de Paris et à Saint-Denis -, mais aussi dans les capitales des provinces.
En 1774 par exemple, La Gazette de France annonce, des mois durant, les cérémonies données en l’honneur de Louis XV dans tout le royaume. Les édiles et autres corps sociaux rivalisent pour l’occasion d’invention et de faste. Ils chargent les architectes communaux de projeter de monumentales architectures éphémères dans les nefs des église et démontrent leur puissance à travers :

  • l’accumulation de cierges (mentionnés par centaines de livres dans les délibérations municipales par exemple),
  • de tentures sombres animées de larmes argentées et de fleurs de lys,
  • de marbres feints,
  • et de nombreuses formes symboliques illustrant les hauts faits et la personnalités du défunt (pyramides, globes, bâton de commandement, poêle, médaillons décorés d’allégories, urnes fumantes, etc.).

Ces pompes funèbres ont lieu en général en fin de matinée. Toute la société (communale, courtisane ou religieuse) est représentée selon une préséance bien établie, qui d’ailleurs crée quelquefois des tensions. Le catafalque constitue le cœur de la mise en scène. Se développant en hauteur, il est le véritable lieu de représentation tant pour le défunt que pour ceux qui viennent l’honorer.

D’un point de vue plus permanent, le XVIIIe siècle est un moment charnière dans la relation que les habitants des villes entretiennent avec les morts. Si certains monuments réellement importants sont encore édifiés pour honorer quelques grands personnages - pensons notamment aux sépultures de Stanislas Leszcynski et Catherine Opalinska à Notre-Dame-de-Bon-Secours à Nancy (Nicolas Sébastien Adam et Louis-Claude Vassé, 1738) ou à la tombe du Maréchal de Saxe à Saint-Thomas de Strasbourg (Jean-Baptiste Pigalle, 1773-1776) dans lesquels brillent les derniers feux du baroque - ces monuments tendent à se raréfier puis disparaissent à la fin du siècle puisque les inhumations sont prohibées dans les lieux de culte à partir de 1776.
À partir de la fin du XVIIIe siècle, avec la création des nécropoles urbaines, l’art funéraire se déplace dans les cimetières, où les tombes individuelles deviennent la preuve de la réussite des familles bourgeoises au siècle suivant. La statuaire exalte les grands hommes, les grandes actions et les grandes œuvres.

Quels sont les importants symboles que l'on peut trouver en observant les tombes de nos ancêtres ? Observe-t-on une évolution de ces représentations ?

En se baladant dans les églises construites sous l’Ancien Régime ou dans les grands cimetières urbains du XIXe siècle, on est frappé par les nombreux symboles funéraires qui, selon les époques, connaissent un succès plus ou moins important. Dans l’art funéraire, la destination du monument doit être évidente, l’iconographie est donc porteuse de sens. Les sculpteurs usent de représentations métaphoriques qui se réfèrent à de nombreux registres iconographiques. De manière générale, le vocabulaire funéraire connaît une grande continuité sous l’Ancien Régime et au XIXe siècle. Pyramides, clepsydres (ailées ou non), flambeaux renversés et urnes drapées, figures de la mort personnifiée, pleureuses, anges et génies funéraires sont par exemple des lieux communs de l’iconographie mortuaire. Les végétaux sont également très présents sur les monuments funéraires, les chapelles et les stèles. Chaque variété a sa signification. La pensée est utilisée pour son homonymie, le pavot évoque le sommeil, le lierre l’attachement. On dit le cyprès immortel alors que la palme et le chêne permettent de manifester gloire et réussite. Les animaux peuplent les monuments, les oiseaux de nuit (chouettes, hiboux ou chauve-souris) provoquent l’inquiétude chez le promeneur et contrastent avec ceux symbolisant la docilité ou la fidélité comme les chiens. Moins nombreux au XIXe siècle, les motifs symboliques purement macabres (crâne, os, memento mori) - qui ont connu leurs grandes heures au XVIIe et XVIIIe siècle - se développent lentement après les années 1830 en France. Ils sont davantage l’apanage des cimetières anglais. Enfin, l’individualisation de la tombe et la célébration du défunt conditionnent l’avènement de la tombe « parlante » au XIXe siècle. La tombe de Joseph Liard au cimetière des Chaprais à Besançon en est un bon exemple. Directeur et constructeur du canal du Rhin au Rhône, le défunt est célébré à travers la représentation du tunnel fluvial de Thoraise sur la face antérieure du socle monument tandis que de l’eau jaillissant des faces latérales du socle évoque le Rhin et le Rhône.

Selon-vous, ces cimetières sont-ils toujours aussi importants qu'ils ne l'ont été il y a plusieurs années?

Avant tout, il est important de rappeler les actes de fondation de nos cimetières contemporains. Dès la fin de l’Ancien Régime, plusieurs décisions encouragent l’éloignement des morts, jusqu’alors très présents au cœur des villes, des vivants. La déclaration royale du 17 mars 1776 réduit drastiquement la possibilité de se faire inhumer dans les églises et ordonne le transfert des ossements hors des villes et des bourgs. Dans les années qui précèdent la Révolution, le déménagement des cimetières, surchargés et insalubres, du centre des villes entraîne par exemple la destruction du cimetière des Innocents à Paris (1786-88) et donne lieu au transfert des ossements à Montrouge, de nuit.
À Besançon, les cimetières disparaissent lentement du centre-ville dès le XVIIe siècle. Le réaménagement de la cité, devenue capitale de la province après la conquête française, pousse les édiles à récupérer les places situées devant les églises pour aménager l’espace urbain. Les cimetières de Saint-Pierre et de Saint-Maurice sont en partie supprimés, respectivement en 1601 et en 1698, les ossements déménagés à l’arrière de ces deux églises. La Révolution bouleverse les habitudes en organisant la laïcisation du cimetière, placé désormais sous l’autorité communale. L’Église, dépossédée de ses registres d’état civil, n’a plus le monopole des sépultures alors que les hommes meurent sous l’autorité de l’État. Au début du XIXe siècle, le décret du 23 prairial an XII (12 juin 1804) est fondamental. Texte fondateur du cimetière du Père-Lachaise, il participe également à la naissance d’une idée nouvelle : édifier des cimetières de la même manière que l’on dessine des villes nouvelles, hygiéniques et pratiques. Il prévoit notamment que ces nouvelles nécropoles soient construites en dehors des villes (à 35-40 mètres des enceintes) et offre en même temps la possibilité aux usagers d’acquérir des concessions pour y fonder des sépultures familiales, en construisant caveaux, monuments ou tombeaux.
Enfin, la nouvelle réglementation généralise la délimitation de l’espace de la concession par des repères visibles (clôtures, plantations, monuments). Par la suite, l’ordonnance royale du 6 décembre 1843 « relative aux cimetières » diffuse les principes essentiels énoncés dans le décret du 23 prairial en les étendant à toutes les communes (soit également aux villages), et pour finir, c’est la loi du 14 novembre 1881 qui « neutralise » les cimetières.

Ces trois textes essentiels donnent naissance aux cimetières modernes, véritables « villes des morts » constituées de rues - les allées - et d’habitations - les chapelles. De nouvelles pratiques apparaissent en même temps et participent de ce nouveau culte des morts qui naît avec la société du XIXe siècle, dont l’offrande des fleurs coupées et la visite au cimetière notamment lors de la Toussaint. Les couronnes d’immortelles séchées remplacent peu à peu les cierges allumés pendant le convoi. Cela dit, si le XIXe siècle constitue l’âge d’or des cimetières urbains, notre société contemporaine a beaucoup évolué depuis, et avec elle, notre rapport avec la mort. Ces évolutions considérables ont remis en cause les fondements du cimetière mis en place au XIXe siècle.
D’un point de vue démographique, la migration, voire la dispersion des familles, ont parfois provoqué l’oubli et l’abandon des sépultures. Pourtant, le décès d’un proche est encore aujourd’hui un instant pendant lequel des milliers de Français renouent momentanément avec la terre de leurs ancêtres. Le déclin du mariage, l’avènement de la vie en concubinage, les divorces fréquents et les nombreuses familles recomposées ont profondément fait évoluer la cellule familiale. La mort elle-même n’est plus la même. Les progrès de la médecine, l’allongement de la vie et, avec elles, la forte baisse de la mortalité infantile, ont ralenti le rythme des deuils et des enterrements. La médicalisation et le développement des soins palliatifs ont banalisé les décès à l’hôpital, loin du domicile. Enfin, les mutations de la foi - doublées d’un abandon massif de la religion catholique en Europe occidentale - et l’accélération du rythme de vie font que les familles ressentent moins l’envie et la nécessité d’aller se recueillir. Les cimetières du XXe siècle, souvent extramuros, sont devenus peu à peu exclusivement des espaces dévolus à la mort, éloignant irrémédiablement celle-ci de notre quotidien.

Le mot de la fin ?

Nous avons la chance à Besançon d’avoir, à quelques minutes du quartier de la Boucle, un cimetière assez remarquable pour son atmosphère patrimoniale et arborée. Lieu plaisant de promenade, le cimetière des Chaprais constitue un espace patrimonial de mémoire et d’histoire bisontine qu’il est agréable de traverser de temps en temps. Mis en service en 1824, il abrite encore aujourd’hui, dans sa partie haute, d’intéressants monuments anciens parmi lesquels le caveau de la famille Saint-Eve. Industriels spécialisés dans la production d’éléments décoratifs en fonte - notamment destinés aux cimetières -, les Saint-Eve ont érigé un baldaquin et une clôture dans leur matériau de prédilection. Génies funéraires, chouettes, feuilles de lierre, lancettes et autres fleurons inspirés de l’architecture médiévale évoquent le monde funéraire et constituent une sorte de catalogue des formes disponibles à la fonderie familiale. À quelques pas de là, la tombe de l’architecte bisontin Alphonse Delacroix, véritable pyramide en miniature, attire le regard du promeneur. Plus bas, le monumental caveau de la famille Pasche sculpté par Albert Pasche, élève de Falguière et de Mercier, contraste avec les chapelles alentours par la blancheur de son marbre - par ailleurs très peu utilisé dans la nécropole bisontine… Bien d’autres monuments, comme celui des familles Riduet, Piguet ou Durand de Gevigney témoignent de l’essor du caveau familial et, dans le cas de la dernière sépulture, du succès sans précédent de la chapelle funéraire miniature au XIXe siècle.

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