Une vieille caricature
UFC
Auteur 
Catherine Tondu

Guerre 1914-1918 : caricatures à la mine noire

Au-delà du choc traumatique persévérant sur les populations civiles et militaires, quelle mémoire collective se construit sur les ruines de la Grande Guerre ? Les sources documentaires de l’époque, en France et en Allemagne, affichent leur vérité, ignorant que la réalité est complexe…

En 1918, la capitulation de l’armée allemande n’est plus qu’une question de semaines. L’entrée en lice des États-Unis en 1917 lui a porté un coup fatal. Mais tous les militaires n’acceptent pas la défaite et en rejettent la responsabilité sur le pouvoir civil qui signe l’armistice : le « mythe du coup de poignard dans le dos » entre dans la mémoire collective allemande, où il est consciencieusement entretenu ; c’est un des facteurs qui expliquera par la suite l’efficacité de la propagande nazie.

Ces discordances entre réalité et désinformation, Stéphanie Krapoth les étudie à travers des sources comme les dessins satiriques parus dans la presse de l’époque, et les manuels scolaires qui font alors référence dans les salles de classes, en France comme en Allemagne. Chercheuse au laboratoire des sciences historiques de l’université de Franche-Comté, elle remarque combien les deux pays sont « aveugles du traumatisme de l’autre » au sortir de la Grande Guerre. Déplorant 1,3 million de morts, la France sort meurtrie du conflit, mais outre-Rhin les livres d’école affichent l’image d’une France affirmant sa supériorité en Europe, symbolisée par un Clémenceau tout puissant. L’Allemagne, elle, est humiliée par le traité de Versailles signé en 1919, à l’endroit même où avait été proclamé en 1871 l’empire allemand, désormais déchu.

Déclarée responsable de la guerre, elle se voit amputée d’une partie de son territoire et contrainte à payer des dédommagements considérables. Autant d’arguments pour Hitler qui promet au peuple de lui « redonner sa dignité », et qui se matérialisent sous la forme d’une Allemagne aux frontières sanglantes dans les manuels.

Plumes acerbes et crayons vengeurs

Des guerres napoléoniennes jusqu’à la seconde guerre mondiale, de nombreux ressorts font s’enclencher les conflits les uns après les autres. Les étudier à travers la presse satirique d’époque n’est pas une mince affaire. Il faut en décrypter le langage, confronter ce discours à la réalité, et analyser le décalage en se plaçant dans le contexte historique. L’humour est largement utilisé pour exprimer ce qu’on ne peut dire ouvertement, en recourant à des stéréotypes rassurants. Il aide à renforcer son identité vis-à-vis de l’extérieur, comme dans les journaux allemands où l’on veut se garder de prétendues « maladies des Français », et à se battre sur la scène publique comme en France où l’on dénigre ses ennemis politiques à coups de comparaisons avec le voisin.

« Les sources satiriques sont des phénomènes éphémères. Lorsque leurs enseignements rejoignent ceux des manuels scolaires, dont l’évolution est à l’inverse particulièrement lente, on a là l’indice qu’ils correspondent à des tendances fortes. »

Conscient des dommages causés par les dissensions entre représentation et réalité, prônant la compréhension du point de vue de l’autre pour éviter de nouvelles guerres, l’historien Jules Isaac avait édité en 1929 un manuel scolaire français comportant des cartes et des données sur l’Allemagne. Jugé provocateur alors qu’il n’est qu’avant-gardiste, l’auteur est violemment critiqué. L’ouvrage, majoritairement décrié, connaîtra plus tard un grand succès… Ce sera juste après 1945.

Pour en savoir plus : Les relations franco-allemandes en perspective : sources, méthodes et temporalités pour une approche des représentations depuis 1870 (sous la direction de Stéphanie Krapoth et Claire Aslangul-Rallo), PUFC, à paraître courant 2014.

Article paru dans le numéro 253 du journal en direct - mai 2014.

Contact

Stéphanie Krapoth
03 81 66 54 31
Laboratoire des sciences historiques
http://lsh.univ-fcomte.fr

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