Al Batoul Zakaria manipule des produits chimiques sous une hotte
Ludovic Godard
Auteur 
Delphine Gosset

Cancer : la piste de la nanomédecine

L’équipe Nanomédecine, imagerie, thérapeutique a trouvé comment améliorer l’efficacité du TRAIL, une molécule naturelle capable de détruire les cellules cancéreuses. Les chercheurs ont réussi à la fixer en quantité sur des nanotubes de carbone qui la transportent jusqu’à sa cible. Les premiers résultats in vitro sont très encourageants.

L’idée est partie d’un problème dont les médecins du service d’hépatologie du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) ont fait part aux membres du laboratoire de nanomédecine : le cancer primaire du foie (carcinome hépatocellulaire) représente une véritable impasse thérapeutique. Les chercheurs ont décidé de se pencher sur ce problème afin de proposer de nouvelles pistes. « C'est ce qui fait l'originalité de notre équipe, souligne Tijani Gharbi, directeur du laboratoire. Nous travaillons toujours à partir de problèmes concrets rencontrés en médecine, pour y trouver des solutions. Pour cela, nous faisons appel à plusieurs disciplines : chimie, physique, pharmacie… »

L’un des espoirs de la recherche actuelle contre le cancer repose sur une molécule naturellement présente dans l’organisme : TRAIL1. Cette protéine de la famille des cytokines2 est produite par le système immunitaire ou par les cellules voisines d’une cellule malade. TRAIL se fixe sur des récepteurs situés à leur surface, comme une clé dans une serrure, et déclenche leur destruction. Cela s’effectue selon un mécanisme naturel de « mort cellulaire programmée », ou apoptose, qui fait justement défaut aux cellules cancéreuses. Ces dernières étant très riches en récepteurs au TRAIL, il a paru intéressant d’utiliser cette molécule comme traitement. Cette perspective a déjà été explorée par plusieurs équipes de recherche, avec des résultats mitigés.

Un moyen de transport

Les chercheurs ont imaginé rendre TRAIL plus efficace en le dotant d’un moyen de transport qui pourrait lui permettre d’atteindre plus facilement sa cible. Il s’agit de nanotubes de carbone, mille fois plus petits que le diamètre d’un cheveu, qui, de par leurs propriétés chimiques et leur tendance naturelle à fuir l’eau, vont spontanément pénétrer les cellules.

Ils ont tenté d'équiper des nanotubes de carbone d’un maximum de TRAIL par le biais d’une liaison chimique. Sachant qu’il existe aussi sur la membrane cellulaire des récepteurs qui ont l’effet inverse et contrent l’action de ces molécules, l’objectif est de les apporter en masse pour forcer le déclenchement de la mort cellulaire. Difficulté supplémentaire : cette molécule existe dans plusieurs configurations, dont une seule est vraiment efficace. La modélisation informatique s’est révélée très utile pour comprendre ces mécanismes qui ont lieu à une échelle difficilement observable.

Plusieurs techniques de microscopie haute résolution ont permis de vérifier que près de 75 % de la surface des nanotubes de carbone pouvait être recouverte avec TRAIL grâce aux méthodes mises au point au laboratoire.

Des résultats inespérés

Dans le cadre d'un partenariat avec une équipe de recherche dijonaise3, les chercheurs ont ensuite testé l’efficacité de cette combinaison sur différents types de cellules cancéreuses en culture : cancer des os, cancer du poumon, mélanome malin chez la souris et trois types de cancer du foie. Les résultats se sont avérés extrêmement prometteurs : associé au nanovecteur, TRAIL détruit 7 à 20 fois plus de cellules cancéreuses (selon les lignées) que s'il est utilisé seul.

L’équipe va poursuivre ses travaux par des essais sur des souris. Si les propriétés thérapeutiques de cette solution se confirment, ils pourront ensuite envisager de la tester chez l’homme. L’idée est d’apporter le traitement directement à proximité de la tumeur, par des moyens chirurgicaux, pour limiter d’éventuels effets secondaires.

Ces travaux ont été réalisés en collaboration avec plusieurs laboratoires de l’université de Bourgogne : le laboratoire interdisciplinaire Carnot, l’unité mixte de recherche Lipides, nutrition, cancer (INSERM), et le centre de microscopie (INRA).

Nanovectorisation of TRAIL with single wall carbon nanotubes enhances tumor cell killing. Al Batoul Zakaria et al. Nanoletters. 15(2):891-5.
http://pubs.acs.org/doi/abs/10.1021/nl503565t

  1. Tumor necrosis factor related apoptosis inducing ligand
  2. Les cytokines sont des molécules de signalisation qui permettent aux cellules d'agir à distance. Elles sont produites par le système immunitaire mais aussi par d'autres cellules.
  3. Il s'agit de l'équipe d'Olivier Micheau UMR 866 UB-INSERM : Lipides, nutrition, santé.

Contact

Tijani Gharbi
Directeur du laboratoire
tijani.gharbi@univ-fcomte.fr

Guillaume Herlem
guillaume.herlem@univ-fcomte.fr

Fabien Picaud
fabien.picaud@univ-fcomte.fr

Laboratoire de nanomédecine, imagerie, thérapeutique

Portrait d'Al Batoul Zakaria
Guillaume Helerm et Fabien Picaud
Vue de nanotubes de carbones recouverts de TRAIL au microscope.

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