Portait du doctorant Mahmoud Ahmed Mohamed
Ludovic Godard
Auteur 
Delphine Gosset

Régénérer les friches européennes

Le projet européen Timbre, auquel participent Nicolas Fatin-Rouge et son équipe, permettra, à terme, de réinvestir des zones  devenues inexploitables pour cause de pollution.

Il existe, en Europe, près de 20 000 grands sites qui, suite à une exploitation de nature industrielle, militaire, minière ou commerciale, souffrent d’une pollution tellement complexe qu’on ne peut ni les réexploiter, ni construire aux alentours.

L’idée du projet Timbre (Tailored improvement of brownfield revitalisation) est de réhabiliter ces vastes étendues qui bénéficient déjà d’infrastructures de transport et de communication pour y implanter de nouvelles installations, plutôt que d’investir des terrains vierges à l’environnement préservé.

La réhabilitation de ces mégasites représente un coût énorme et de nombreuses contraintes. On y trouve des zones polluées de manière diffuse, mais aussi des zones sources, très concentrées, qui nécessitent un traitement intensif. Celui-ci doit éviter toute contamination des nappes phréatiques et faire appel à des produits sans risque pour l’environnement.

Minimiser les coûts et les risques

Mahmoud Ahmed Mohamed, doctorant à l’institut UTINAM, et son directeur de recherche : Nicolas Fatin-Rouge, développent des méthodes novatrices en matière de lavage des sols. L’élaboration de ces procédés témoigne d’un véritable souci, à la fois de diminuer les coûts (en réutilisant les réactifs) et de minimiser les risques pour les travailleurs : deux conditions essentielles pour que les idées produites au laboratoire trouvent une réelle application sur le terrain. C’est en raison de ce savoir-faire que ces chimistes ont été sollicités pour participer au consortium Timbre qui compte 15 partenaires européens, tous experts du domaine.

L’un des sites expérimentaux est situé à Solec Kujawski, en Pologne. Il a été exploité pendant près d’un siècle pour le traitement de conservation du bois et souffre d’une pollution aux créosotes1. A l’automne dernier, les chercheurs y ont effectué une mission de cinq semaines pour tester et mettre au point leurs procédés de décontamination. Ils injectent dans le sol un fluide contenant des molécules (les ligands) qui ont la faculté de s’associer aux polluants. Celui-ci est ensuite récupéré par pompage. Ainsi, les hydrocarbures capturés par les ligands remontent à la surface. Une étape de filtration, à travers un système sophistiqué de membranes, permet de séparer les polluants du liquide de lavage. Ce dernier, redevenu quasiment pur et conservant ses propriétés chimiques, peut à nouveau être injecté dans le sol, ce qui constitue une véritable économie. Les hydrocarbures ainsi extraits sont réutilisables, après avoir été concentrés, comme combustibles dans les fours à chaux des cimenteries.

Pour améliorer cette technique qu’il a mise au point et brevetée il y a déjà quatre ans, Nicolas Fatin-Rouge a eu l’idée de remplacer le liquide de lavage par une mousse. Les tests se sont avérés très concluants, en laboratoire comme sur le terrain.

Laver un sol imperméable

A Hunedoara, en Roumanie, sur un ancien site métallurgique également concerné par le projet Timbre, le sol est tellement imprégné d’hydrocarbures et de métaux qu’il est devenu par endroits complètement imperméable, tout en représentant une menace pour la nappe phréatique. Il a donc fallu développer une nouvelle approche. Pour dégrader les hydrocarbures, on utilise généralement un oxydant qui rompt les molécules jusqu’à obtenir, après plusieurs réactions successives, du dioxyde de carbone et de l’eau2. Mais le lavage direct étant sans effet sur les hydrocarbures hydrophobes3 et visqueux du sol de Hunedoara, il faut aussi les rendre solubles. Les chercheurs ont eu l’idée de faire d’une pierre deux coups en utilisant un oxydant lent : le persulfate de sodium, qui, lorsqu’il réagit avec les hydrocarbures, produit des molécules (surfactants) capables de les solubiliser. On améliore ainsi la pénétration du liquide dans le sol tout en facilitant l’extraction des polluants.

Quant à l’énorme quantité de métaux, impossible de la réduire à moindre coût. « Heureusement, ils sont très peu mobiles et ne représentent pas de menace pour les eaux souterraines. Il est plus simple de les stabiliser dans le sol. Pour cela, on ajoute aux solutions d’oxydants un agent précipitant inoffensif : des ions carbonate, qui présentent eux-aussi l’avantage de rendre les hydrocarbures plus solubles», explique Nicolas Fatin-Rouge. Après avoir validé cette méthode ingénieuse en laboratoire, les deux chercheurs la testent à l’heure actuelle sur le terrain.

 «J’aurai pu passer toute ma carrière dans un laboratoire, sans perspective de voir mes travaux aboutir à quelque chose de concret. La pratique du terrain est une expérience incontournable dans ce type de recherches. Grâce à ce consortium qui implique des experts de tous les domaines, tous les aspects du problème, y compris économiques et légaux, sont analysés de manière pragmatique. Nous pouvons espérer voir, à terme, les solutions élaborées collectivement véritablement mises en œuvres. A l’issue de ces campagnes de recherche, des réunions avec les autorités locales et les responsables permettent de définir les meilleures stratégies à adopter pour la revitalisation de ces sites » explique-t-il, enthousiaste.

  1. Les créosotes sont des mélanges d’hydrocarbures très toxiques provenant de la distillation de la houille. Leur utilisation est désormais largement interdite.
  2. Qui repousse les molécules d'eau.
  3. Habituellement, on utilise de l’eau oxygénée, mais pour venir à bout d’hydrocarbures qui possèdent 15 atomes de carbone, il en faudrait des quantités énormes, ce qui implique non seulement un coût important mais aussi des risques (ce produit, très instable, s'enflamme facilement).

Contact

sol pollué
Nicolas Fattin Rouge sur le terrain
chercheur en combinaison devant le pilote d'ultrafiltration
Chercheur équipé d'une combinaison de protection devant un pilote d'ultrafiltration.
dispositif de dépollution
Sol pollué

Articles relatifs