Des maquettes de bâtiments en feutre. Plaid Houses de Laure Tixier
Ludovic Godard
Auteur 
Delphine Gosset

Quand l'art rencontre l'architecture

« Cet endroit n’existe pas  », c'est le titre de l'exposition, mais les œuvres, elles sont bien réelles. De formes très diverses (sculpture, aquarelle, sérigraphie…), jouant avec les références culturelles, elles invitent à réfléchir autour de la notion d'habitat et des utopies qui s'y rattachent. Signées par une artiste reconnue, Laure Tixier, elles sont présentées jusqu'à la fin du mois au Gymnase-espace culturel de l'université.

Cette artiste née en 1972 vit et travaille à Paris où elle est représentée par la galerie Polaris. Auteur d'œuvres variées, elle a exposé à Paris, au Luxembourg, à Rotterdam et à Yokohama. De grands musées internationaux  (dont le National Museum of Women in the Arts à Washington, ou le musée d’art moderne Grand-Duc Jean au Luxembourg) ont intégré ses créations à leurs collections.

Shön Ile d'Utopie. Série de 9 aquarelles, par Laure Tixier
Ludovic Godard

Schön Ile d'utopie (1996-1997)

Cette série de neuf aquarelles correspond au travail de fin d'études que Laure Tixier a présenté pour obtenir son diplôme national supérieur d’expression plastique à l'École nationale supérieure d'art de Bourges. Toutes font référence à différentes cités idéales imaginées à différentes époques, que l'artiste détourne pour les destiner au bonheur des chiens. « C'est une démarche cynique, au sens philosophique de Diogène », explique-t-elle. Comme en témoigne le jeu de mot du titre (Schön Ile – Chenil), toutes ces utopies architecturales sont revisitées à partir de niches ou de caisses pour chien. On y trouve des références au mouvement Bauhaus, au constructivisme russe, à la première cité jardin, à la ville verticale de Le Corbusier…

La canine royale d'Arc-et-Senans de Laure Tixier.
Ludovic Godard

… ainsi qu'aux travaux de Claude-Nicolas Ledoux, avec une « canine royale » qui réinterprète le plan initial complet de la Saline royale d'Arc-et-Senans.

L'Avenir, perspective d'un Canilistère, de Laure Tixier.
Ludovic Godard

Pour cette exposition, Laure Tixier a réalisé sur commande une dixième œuvre qui complète la série, vingt ans plus tard. Intitulée L'Avenir. Perspective d'un Canilistère, celle-ci fait référence au phalanstère de Charles Fourier. Pour valider ses théories sociales, le philosophe avait en effet imaginé un ensemble architectural à la fois lieu de vie et exploitation agricole, permettant de regrouper environ 2 000 personnes dans des bâtiments communautaires afin de faciliter les interactions entre individus.

Cette aquarelle va être intégrée aux collections du Centre d'art mobile dans le cadre du parcours Fourier qui présentera en différents points de Besançon douze œuvres contemporaines relatives aux douze passions édictées par le philosophe.

Les Siphonophores. Série d'aquarelles de Laure Tixier
Ludovic Godard

Siphonophores (2002-2003)

Le siphonophore est un cousin de la méduse qui a pour particularité d'être à la fois un individu et une colonie. Une « bonne métaphore de la société », selon Laure Tixier, qui s'est inspirée de planches naturalistes réalisées par le biologiste Ernst Haeckel à la fin du XIXe siècle pour faire de ces animaux étranges des cités flottantes aux airs futuristes.

Siphonophore par Laure Tixier. Une aquarelle évoquant une gravure et u animal en forme de méduse.
Ludovic Godard

Dans ces aquarelles d'une finesse impressionnante, Laure Tixier mélange les registres très différents de l’art populaire d’aujourd’hui et de planches scientifiques élégantes du siècle dernier en introduisant des engins miniatures tirés des films Star Wars, comme un ver dans le fruit, « parce que les utopies fonctionnent rarement. »

De petites maisons de toutes sortes en feutre. Plaid Houses, de Laure Tixier.
Ludovic Godard

Plaid Houses (2007-2011)

Laure Tixier commence chaque projet à l'aquarelle avant de travailler ensuite sur d'autres supports. Pour la série Plaid Houses, elle est partie des premières fictions que l'enfant se crée en jouant à se construire des maisons imaginaires, caché sous une couverture. Elle a ainsi réalisé 150 aquarelles sur lesquelles la couverture se transforme chaque fois en une habitation différente. Elle a ensuite décliné 48 d'entre elles sous forme de petites maquettes de feutre : maison traditionnelle, phare, château, immeuble art déco, hutte ou encore maison futuriste des années 1970...

Vue de la salle d'exposition avec une grande maison orange etd e petites maquettes de maisons colorées.
Ludovic Godard

Poursuivant sa démarche, elle a réalisé neuf sculptures, toujours en feutre, dont l'une est présentée au Gymnase-espace culturel. Celles-ci répondent aux dimensions du corps humain : un enfant pourrait s'y glisser, un adulte également, mais avec moins de facilité. « On peut y voir une métaphore de la difficulté à retrouver l'enfant qu'on a été », remarque l'artiste.

Trois étudiantes de la licence professionnelle METI dans la salle d'exposition
Ludovic Godard


La sélection de ces différents travaux a été réalisée avec le concours de trois étudiantes en licence professionnelle spécialité Métiers de l'exposition et technologie de l'information (METI). Clémence Bévand, Marine Ferrier et Caroline Giugni ont fait aux commissaires de l'exposition (le service Sciences, arts et culture de l'UFC et le Centre d'art mobile, en partenariat avec la Maison de l'architecture) une proposition qui réponde aux contraintes de la salle et permette une mise en espace adéquate.

Les petites maquettes de maisons ne sont pas toutes présentées au Gymnase-espace culturel. L'idée était de leur faire « habiter » la ville, c'est pourquoi certaines d'entre elles sont exposées dans différents lieux publics (l'ISBA, le FRAC, la BU Lettres et sciences humaines…). Ce sont ces trois étudiantes qui se sont chargées d'organiser leur répartition dans chacune des structures d'accueil.

Cécile Pollart
Une série de sérigraphies avec des symboles géométriques noirs sur fond blanc. Prisons - Laure Tixier.
Ludovic Godard

Map with a view (2014)

Face à cette séquence de formes géométriques, chacun peut émettre ses propres hypothèses. La réponse à l'énigme que représente cet étrange alphabet se trouve dans le film projeté à proximité : il s'agit d'un inventaire de plans de prisons.

Dans le schéma de ces lieux d'enfermement de différents pays et de différentes époques, on peut, selon l'artiste, « lire un peu de l'histoire du monde ». On y trouve des prisons célèbres, des prisons liées à l'histoire de la décolonisation et devenues des sites touristiques, des prisons très anciennes, comme celle qui est le plus vieux bâtiment d'Australie. Celle qui figure sur l'affiche est celle de Cuba, située sur une île. Certaines ont disparu, comme celle de la Petite Roquette, prison pour enfants puis pour femmes détruite en 1975 pour être remplacée par un square. D'autres sont encore en activité. Beaucoup ont été constuites sur le modèle du panoptique de Bentham. Il s'agissait au départ d'un projet d’usine permettant la surveillance des ouvriers avec un minimum de personnes qui a finalement été utilisé pour des prisons.

Une maquette en tissu et rembourrage. Map with a view - Laure Tixier.
Ludovic Godard

Dans la même série, mais contrastant avec les sérigraphies épurées en noir et blanc, cette maquette évoque à la fois le tapis confortable, les coussins, ou encore le « doudou » d'un enfant. L'artiste a voulu ces créations antagonistes pour obtenir une certaine tension : « d’un côté la rationnalité, de l’autre le côté chatoyant, boursoufflé, saturé de textures et d’imprimé. » Il y a une forte contradiction entre le côté moelleux, rassurant et réconfortant de cette création et ce qu'elle représente, c'est-à-dire le plan de la prison de la Santé et les rues et bâtiments adjacents. Les tissus n'ont pas été choisis au hasard : ils évoquent les nationalités des détenus qui, jusque dans les années 2000, étaient répartis dans les différents blocs selon leur origine ethnique.

Clémence Bévand, Marine ferrier et Caroline Giugni.
Ludovic Godard


Les étudiantes en licence professionnelle METI ont été considérablement impliquées dans ce projet, dès sa genèse. Elles ont géré nombre d'aspects pratiques : formalités auprès des assurances, choix des transporteurs, organisation, installation et accrochage…

Elles ont églement assisté Chloé Truchon et Aurélien Bertini, journalistes à Radio Campus, dans la réalisation d'une création sonore qui habite l'exposition. Des sons sont en effet diffusés dans la salle pour donner au visiteur l'impression d'entendre des commentaires formulés ou tout simplement pensés par ceux qui l'ont précédé. L'idée est de l'inciter à s'autoriser des commentaires. Pour réaliser cette ambiance sonore, les étudiantes ont réuni différentes personnes et les ont confrontées aux œuvres pour collecter des réactions spontanées.

Ces trois étudiantes ont aussi fait la promotion de l'exposition sur Facebook en réalisant des teaser vidéo. Ce sont elles qui assurent les visites guidées le dimanche. Elles participeront même au démontage, après le 31 mars. Ensuite, cette exposition sera acheminée vers la Saline royale d'Arc-et-Senans, où elle sera présentée à nouveau.

L'espace d'animations de l'exposition.
Ludovic Godard

La Maison de l'architecture a ajouté à cette exposition un espace d'animation qui permet aux visiteurs d'imaginer et de créer à leur tour leur propre habitat utopique. Des ateliers thématiques destinés aux enfants s'y déroulent le mercredi.

Contact

Site de Laure tixier
http://www.lauretixier.com

Lucie Vidal

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