Paul Peixoto et Eric Hervouet, en blouse blanche, posent devant un robot d'immunoprécipitation.
Ludovic Godard
Auteur 
Delphine Gosset

Epigenexp : du matériel de pointe pour décortiquer l'ADN

Les biochimistes de l’université disposent désormais d'une plateforme technique pour étudier l'ADN sous toutes ses coutures et mener des expériences d'épigénétique.

« Il est possible de moduler l'expression des gènes sans toucher à l'ADN », expliquent Eric Hervouet et Paul Peixoto, enseignants à l'UFR ST et chercheurs au laboratoire Interactions hôte-greffon-tumeur et ingénierie cellulaire et génique. Ils sont spécialistes de l'épigénétique, une science qui étudie l'environnement du gène et tout ce qui permet, empêche ou régule son expression. Leur laboratoire s'est récemment doté, grâce à un financement de la Région, d'un ensemble de machines dédiées à la recherche dans ce domaine : la plateforme  Epigenexp. Celle-ci devrait d'ailleurs bénéficier également à certains étudiants lors de travaux pratiques.

Si notre ADN contient toute l'information nécessaire à la fabrication de l'ensemble de nos cellules, seule une petite partie de ce « mode d'emploi » est utilisée. Chaque gène correspond à un petit morceau de cette longue molécule. Un gène contient le modèle de fabrication d'une protéine donnée. On parle d'expression du gène pour désigner la synthèse de cette protéine. C'est la fixation d'un autre ensemble de protéines (le facteur de transcription) sur une partie de la séquence d'ADN située avant le gène (le promoteur) qui permet de le décoder et d'enclencher son expression. Or, selon l'état de l'ADN, l’interaction entre le promoteur et le facteur de transcription peut, ou non, avoir lieu. Plus la chromatine – qui correspond à l'enroulement de l'ADN autour de protéines (les histones) – est compacte, moins l'expression des gènes est favorisée. Il est d'ailleurs possible d'agir expérimentalement sur cette chromatine en utilisant des enzymes qui vont modifier les histones.

Un sonicateur
Ludovic Godard

Les chercheurs en épigénétique étudient par exemple les modifications des histones ou encore les interactions entre une séquence d'ADN donnée et un facteur de transcription, comme dans l'exemple développé ci-après. Après une première étape de fixation nécessaire pour stabiliser les liaisons qu'ils souhaitent étudier, ils doivent casser l'ADN pour récupérer la partie qui les intéresse. Pour ce faire, le laboratoire a acheté un sonicateur. Il s'agit d'une machine qui permet de segmenter l’ADN en fragments de petite taille grâce à des ultrasons.

Une main portant un gant vert place une petite fiole dans une machine (sonicateur)
Ludovic Godard

Dans le sonicateur, les ondes ultrasonores vont traverser une cuve remplie d'eau et se focaliser au niveau du tube qui contient l’ADN pour le briser. Cet appareil perfectionné permet de contrôler la température (la chaleur risquerait d'abîmer les protéines), de régler l’intensité des ondes et le temps de sonication afin d’obtenir des échantillons de la taille souhaitée. « C’est très intéressant pour nous de pouvoir contrôler la taille de l’échantillon ; cela nous permet d’avoir des résultats reproductibles », précise Éric Hervouet.

Un robot d'immunoprécipitation
Ludovic Godard

Pour trier les fragments contenant le facteur de transcription qui les intéressent, les chercheurs utilisent des anticorps qui vont interagir de manière spécifique avec lui. L'astuce consiste à coupler ces anticorps à des billes magnétiques et à utiliser un aimant pour les récupérer. Réaliser manuellement cette manipulation appelée « immunoprécipitation de chromatine » nécessite une quarantaine d'étapes. C'est pourquoi le laboratoire a investi dans un robot grâce auquel l'expérience devient simple et rapide, avec des résultats fiables. « Des robots de ce type, il y en a moins d’une centaine dans le monde, explique Paul Peixoto. Ici on s’en sert pour faire de l’immunoprécipitation de chromatine mais cela peut servir aussi pour beaucoup d’autres applications. »

Paul peixoto devant un ordinateur et un appareil de PCR digitale
Ludovic Godard

Ensuite, ils purifient l’ADN en le plongeant dans une solution à forte concentation de sel afin de décrocher les anticorps et les billes. Pour rendre visible la partie qui les intéresse, les chercheurs utilisent une sonde fluorescente qui se lie à l'ADN. Le signal fluorescent va indiquer la présence des facteurs de transcription. Difficile de le repérer quand l'ADN se trouve en quantité infime. Alors on amplifie grâce à une technique de PCR (polymerase chain reaction) qui consiste à multiplier une petite quantité d'ADN jusqu'à ce que celle-ci devienne détectable.

Le laboratoire s'est doté d'un appareil de PCR digitale haute performance. Avec cette nouvelle technologie, l’échantillon est fragmenté 20 000 fois et réparti dans autant de gouttes grâce à une technique mircrofluidique. Cela permet de mesurer la fluorescence dans chaque goutte et d'obtenir une quantification beaucoup plus précise qu’avec les techniques classiques. « On fragmente tellement les échantillons qu’on parvient à travailler à l’échelle de la molécule d’ADN », précise Eric Hervouet. La plateforme Epigenexp inclut également un appareil de mesure de fluorescence (fluorimètre) très sensible puisqu'il permet de mesurer des quantités de l'ordre du nanomètre.

Fluorimètre digital
Ludovic Godard

Grâce à cette nouvelle plateforme, les biochimistes du laboratoire mais aussi ceux d'autres unités de recherche vont pouvoir développer davantage d'expériences en épigénétique.

Paul Peixoto et Eric Hervouet, quant à eux, s’intéressent tout particulièrement à des modifications impliquées dans des changements cellulaires liés à la propagation des métastases : les transitions épithélo-mésenchymateuses1. Un sujet d'autant plus intéressant qu'actuellement aucun traitement du cancer ne cible ce processus.

  1. Les cellules cancéreuses qui sont présentes dans un tissu organisé avec une forme donnée (phénotype épithélial) se décrochent et changent de forme pour emprunter la circulation (phénotype mésenchymateux).

Contact

Laboratoire Interactions hôte-greffon-tumeur et ingénierie cellulaire et génique

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