Portrait de Marina Deschamps dans son laboratoire
Ludovic Godard
Auteur 
Delphine Gosset

Stopper les complications d'une greffe grâce à un gène suicide

Un nouveau protocole de thérapie génique va permettre de contrer le développement de la « maladie du greffon contre l'hôte » qui touche parfois les patients leucémiques ayant subi une greffe de moelle osseuse. Les premiers essais cliniques vont pouvoir commencer cet automne.

Le laboratoire Interaction hôte greffon tumeur et ingénierie cellulaire et génique1   s’intéresse de très près au système immunitaire, qu’il s’agisse de lutter contre un cancer ou au contraire de favoriser la réussite d’une greffe. Parmi ses nombreuses pistes de recherches, l’une concerne la « maladie du greffon contre l’hôte ». Cette complication inverse du phénomène de rejet survient quand les cellules du système immunitaire − les lymphocytes, plus connus sous le nom de « globules blancs » − attaquent l’organisme du receveur parce qu’ils l’identifient comme un corps étranger. Les symptômes se manifestent généralement au niveau de la peau et des muqueuses, en particulier de l’intestin. Cette complication potentiellement très grave peut apparaître notamment après une greffe de moelle osseuse réalisée à la suite d’une leucémie.

Cette forme de cancer touche les cellules souches de la moelle osseuse. Ces dernières sont des cellules primitives capables de se spécialiser pour devenir des globules rouges, des globules blancs ou des plaquettes. Dans le cas des leucémies, des cellules souches anormales se mettent à proliférer. Les traitements de type chimiothérapie visent à détruire complètement ces cellules malades. Ensuite, pour que le patient puisse véritablement guérir, on cherche à lui fournir un nouveau système immunitaire en lui greffant la moelle osseuse d’un donneur. S’il reste des cellules cancéreuses, les lymphocytes greffés vont les reconnaître comme des intrus et les éliminer, complétant ainsi l’action des traitements. Mais des problèmes se posent si ces lymphocytes se mettent à attaquer d’autres cellules du patient et déclenchent une  maladie du greffon contre l’hôte.

Suicide cellulaire sur commande

L’objectif des chercheurs était de trouver un moyen de stopper l’action des lymphocytes greffés si ces effets secondaires apparaissent. Ils ont eu recours à une méthode que le laboratoire développe depuis les années 1990 et qui consiste à modifier génétiquement les cellules greffées pour qu’elles s’autodétruisent sur commande. Toutes les cellules étant programmées pour mourir à un moment donné, on remplace le gène qui déclenche cette autodestruction par un gène modifié auquel on ajoute une sorte d’interrupteur. Il s’agit d’une protéine-récepteur qui, tout comme une serrure s’ouvre avec une clé, s’active quand elle est mise en contact avec une certaine molécule.

Une première étude utilisant un « gène suicide » avait déjà été menée avec succès sur 12 patients greffés entre 1996 et 1998. Cependant, le gène suicide utilisé provenait d’un virus et pouvait induire des complications. C’est pourquoi l’équipe des docteurs Christophe Ferrand et Marina Deschamps  a mené une seconde étude en utilisant cette fois un gène d’origine humaine nommé iCaspace9, plus efficace et moins susceptible de produire des effets secondaires. Son action peut-être déclenchée par la molécule AP1903 (ou CIDe), mise au point par une société pharmaceutique américaine. Les études menées en laboratoire ont prouvé qu’il suffit de mettre cette molécule 30 minutes en contact avec les lymphocytes modifiés en culture pour enclencher le processus d’autodestruction. Des essais ont également été menés chez l'animal.

Début des essais cliniques

Après deux ans de démarches, le laboratoire vient de recevoir l’autorisation de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) pour tester ce nouveau traitement sur des patients sélectionnés selon certains critères (généralement il s’agit de personnes pour lesquelles les traitements conventionnels ont échoué). Concrètement, ce ne sont pas les cellules de la moelle osseuse greffées que les chercheurs vont modifier, celles-ci étant trop peu nombreuses et trop précieuses, mais des lymphocytes extraits du sang du donneur. Ceux-ci vont passer deux semaines en laboratoire pour se voir introduire ce nouveau gène suicide avant d’être injectés au patient au moment de la greffe. La nouvelle plate-forme de production de médicaments de thérapie génique de l’Établissement français du sang (EFS), qui devrait ouvrir cet automne, va être mise à profit pour réaliser cette étape cruciale.

Le laboratoire Interaction hôte greffon tumeur et ingénierie cellulaire et génique est l’un des rares en France à travailler sur cette piste du gène suicide. « Quand on touche au système immunitaire, toute dérégulation peut devenir très embêtante, c’est pourquoi il est intéressant de développer des moyens de contrôler et de stopper les mécanismes », explique Marina Deschamps. Ce nouveau système ouvre en effet des perspectives prometteuses pour d’autres champs de la recherche en immunothérapie.

  1. Unité mixte de recherche (UMR) 1080 INSERM-EFS-UFC

Contact

Laboratoire Interactions hôte-greffon-tumeur et ingénierie cellulaire et génique

Portrait de Marina Deschamps

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