plusieurs morilles blondes
Pascal Blachier
CC BY 2.0
Wikimedia commons
Auteur 
Catherine Tondu

La morille à la loupe

Brune ou blonde, la morille séduit les amateurs de champignons, les cueilleurs comme les gastronomes. Volontiers mystérieuse et capricieuse, tour à tour poison ou bienfaitrice, elle livre certains de ses secrets dans une thèse de pharmacie qui l’étudie dans l’un des territoires où elle est depuis toujours adulée, la Franche-Comté.

La morille avouerait un âge canonique de plus de 240 millions d’années, et, toutes proportions gardées, ce n’est pas non plus d’hier qu’elle est appréciée. Mais ce n’est que tout récemment qu’elle s’est prêtée au jeu de la classification scientifique moderne au sein du règne fongique, qui se partage le royaume des êtres vivants aux côtés des animaux et des végétaux. C’est dans ce contexte que Marine Comola a choisi le plus populaire des champignons pour en faire la vedette de sa thèse en pharmacie, qu’elle a soutenue en décembre dernier à Besançon. La jeune docteure dresse le bilan des connaissances de ses traits génétiques à l’aune des plus récentes études biomoléculaires, et fait état de deux facettes contradictoires de sa personnalité : sa toxicité et ses propriétés thérapeutiques.

Toxique ou médicament ?

À la fin du XIXe siècle, le genre Morchella était répertorié selon des critères morphologiques qui faisaient apparaître l’existence de deux espèces, une classification communément reprise dans la plupart des livres de sciences naturelles comme de cuisine : les morilles blondes et les morilles noires. En 2012, le docteur en pharmacie Philippe Clowez reconsidère la taxinomie en ajoutant aux données morphologiques des éléments écologiques et environnementaux, et surtout, en y apportant les derniers enseignements en matière de génétique. « Vingt et une espèces sont ainsi répertoriées en Europe, presque autant qu’aux États-Unis, et la Franche-Comté accueille ou présente les conditions pour en accueillir dix-huit », rapporte Marine Comola. La jeune chercheure décrit de façon détaillée ces différentes espèces dans une monographie qu’elle a volontairement orientée vers le territoire régional. Descriptions macro et microscopiques, caractéristiques écologiques, évolution historique des localisations géographiques, références bibliographiques, iconographie…, le moindre changement de couleur d’un chapeau est signalé, et la taille des spores mesurée au micromètre près.

De manière générale, on retiendra que la morille se montre de février à juin selon l’altitude, qu’elle aime vivre en bordure des forêts, des vieux prés et des cours d’eau, où elle trouvera ombre et humidité, qu’elle apprécie rien moins que des fluctuations de température importantes en journée, de même que des alternances de pluie et de soleil. Gourmande de sucre, elle pousse en compagnie de végétaux mellifères et d’arbres comme le frêne. Des endroits rêvés qu’elle quitte cependant dès que son habitat est transformé, par exemple par la coupe de quelques arbres. La morille est également opportuniste, s’installant dans des zones des plus bizarres et polluées, sur des vieilles ramettes de papier pourrissantes ou des tâches d’huile de vidange ; elle est alors bien sûr impropre à la consommation. En dehors de ces considérations, il ne faut pas oublier que la morille crue est toxique, que la faire sécher est une garantie d’élimination du poison, une précaution indispensable à compléter par une bonne cuisson après réhydratation.

C’est moins connu, la morille est aussi la cause de troubles neurologiques comme des vertiges, des tremblements, un manque de coordination motrice ou des difficultés à stabiliser la station debout, autant de symptômes apparaissant plus de six heures après son ingestion, et qui disparaissent quelques heures voire plusieurs jours plus tard. Ce syndrome neurologique dû à la consommation de morilles a été officiellement reconnu en 2006, grâce à l’analyse et la compilation de dossiers provenant de centres antipoison, et dont les plus vieux datent de 1975. « Pour l’instant on n’a pas pu établir les causes de ce syndrome, ni identifier de molécule toxique qui en serait responsable. La prudence conseille simplement d’éviter d’absorber de grandes quantités de morilles et de ne pas en manger lors de plusieurs repas consécutifs. »

La morille recèle aussi des vertus thérapeutiques, ce qui est également moins connu. Ses propriétés anti-inflammatoires, antioxydantes et antitumorales ont été testées et prouvées chez l’animal. « Même si des suggestions sont émises, par exemple pour les prescrire en complément de chimiothérapies, aucune étude n’a pour l’instant été réalisée chez l’être humain », constate Marine Comola.

Culture industrielle de morilles

En attendant, la morille, comme d’autres champignons, est utilisée dans les médecines populaires au Japon, en Corée, en Russie et même aux États-Unis, ainsi que dans la médecine traditionnelle chinoise. Relation de cause à effet ? La Chine est le premier et pour l’instant le seul pays à maîtriser la culture industrielle des morilles, produisant quatre-vingt tonnes par an depuis 2012,  selon une technologie innovante et pour l’instant unique au monde. Tous les essais menés jusque-là, comme en Savoie à la fin du XIXe siècle, se sont révélés infructueux, incapables de garantir des rendements stables de production. La méthode chinoise s’exporterait aujourd’hui en Europe, grâce à un partenariat avec un consortium d’industriels français. Prometteurs, les premiers résultats sur le sol français affichent un rendement de soixante-dix kilogrammes pour une parcelle de trois cents mètres carrés. Une satisfaction qui ne supplantera sans doute pas le plaisir du cueilleur franc-comtois à découvrir un « coin à morilles », qu’il gardera bien sûr jalousement secret…

Article publié dans le numéro 270 de mai 2017 du journal en direct.

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