Vue de la façade d'un Palais de Justice
Ludovic Godard
Auteur 
Catherine Tondu

Jugements sujets à caution

La définition d’un crime par le droit est fonction d’un pays, d’une époque. Le traitement d’une affaire est aussi en partie déterminé par un contexte, comme le rappelle Lucie Jouvet-Legrand, sociologue au LASA, le laboratoire de sociologie et d’anthropologie de l’université de Franche-Comté, et dont la spécialité porte sur l’erreur judiciaire et le fait divers.

Lucie Jouvet-Legrand établit un parallèle entre l’affaire Grégory et l’affaire Patrick Dils, toutes deux sous les feux de l’actualité de ces derniers mois. « Le double-meurtre des enfants de Montigny-lès-Metz survient tout juste deux ans après l’affaire Grégory, alors que celle-ci n’est pas résolue. L’indignation est à son paroxysme, la psychose aussi. » Les enquêteurs subissent une pression considérable. Eux qui sont confrontés en permanence au mensonge et habitués à mettre en doute les déclarations des suspects, n’hésitent pas à employer des méthodes fortes, du ressort de la violence symbolique pour trouver un coupable. C’est l’une des explications à l’aveu de Patrick Dils, qui sera reconnu victime d’une erreur judiciaire après quinze ans d’emprisonnement. « D’autres suspects avaient avoué, puis s’étaient rétractés ; pour Patrick Dils, certains faits matériels concordaient, ce qui ne laissait plus de doute à sa culpabilité. »

Pourtant les témoignages sont sujets à caution. Des témoins affirment avoir entendu des cris à un moment où Dils avait possiblement pu commettre le crime, une déclaration qui s’est révélée par la suite être fausse, mais qui a conduit Dils tout droit en prison. « De telles situations sont complexes. Les gens veulent bien faire, aider la police, et cherchent à se rappeler… mais en définitive il arrive qu’ils transforment la réalité », remarque Lucie Jouvet-Legrand.

S’ajoutant à cette conjonction de circonstances, la personnalité peu amène du jeune homme ne joue pas en sa faveur. Sa nature fragile et introvertie se mue bientôt en une personnalité de psychopathe sans scrupules. « Les mêmes traits de caractère sont interprétés différemment selon la lecture que l’on veut bien faire du crime. » La révision du procès de Dils est motivée par l’apparition de Francis Heaulme sur la scène, et conclut à son innocence au terme de nombreuses années de procédure. Cette fois, les circonstances jouent en faveur de Dils : « Il y a fort à parier que sans le lourd passé criminel de Francis Heaulme, Dils serait toujours derrière les barreaux », estime la sociologue. Le tempérament effacé de Patrick Dils est lu par les experts lors de l’acquittement comme ayant pu favoriser la production d’aveux pour satisfaire les enquêteurs, et non plus comme un trait de caractère criminel.

Interrogée par de nombreux médias ces derniers mois à propos de l’affaire Grégory, Lucie Jouvet-Legrand souligne que le caractère tendancieux de certaines interprétations ne peut que s’exacerber avec le temps. Plus de trente ans ont passé… Dans l’affaire Grégory comme dans celle du double meurtre de Montigny-lès-Metz, ont surgi des mythes, comme celui de l’enfant de l’adultère, et des masques de suspects : l’employé frustré, la mère infanticide, l’adolescent psychotique…, des éléments qui tous ont eu un impact sur le traitement judiciaire de ces affaires, et laissent des traces jusqu’aux interprétations que l’on peut en faire aujourd’hui. Même les nouvelles pistes évoquées grâce aux avancées scientifiques ont leurs limites. « Les logiciels sont depuis longtemps utilisés par les spécialistes. Ils énoncent certaines réalités, à un moment donné, mais ne conduisent aujourd’hui pas plus qu’hier à LA vérité. »

Article paru dans le dossier intitulé « La subjectivité, arme du crime ? » du numéro 272 de septembre-octobre 2017 du journal en direct.

Contact

Lucie Jouvet-Legrand
06 28 06 04 83
lucie.jouvet@univ-fcomte.fr

Laboratoire de sociologie et d'anthropologie - LaSA

Tags